Chanoines réguliers de Prémontré
24
Avr
Conversion de notre Père saint Augustin
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XXXIIIè dimanche du T.O – 14 novembre 2021

Le soleil s’obscurcira, la lune s’éteindra, les étoiles tomberont du ciel. Ce matin, dans l’évangile, c’est un peu l’apocalypse:  mais il faut s’entendre sur le sens de ce mot « apocalypse »: il a aujourd’hui le sens de « catastrophe finale ». Le film de Coppola, 1979,  Apocalypse now nous a montré, dans la guerre du Vietnam, ce colonel américain déjanté, devenu le gourou d’une tribu indigène, qui monte avec ses hommes des opérations d’une sauvagerie terrifiante. Et la troupe a gravé sur un mur du camp: Our motto: Apocalypse now (Voici notre devise: c’est l’apocalypse)!

Je voudrais plutôt aujourd’hui vous inviter à prendre ce mot apocalypse dans toute sa signification littéraire ancienne. A l’époque de Jésus, fleurissaient véritablement dans la littérature juive ces apocalypses – nous connaissons celle de saint Jean mais il y en a des quantités d’autres, vous  pouvez les lire dans un beau volume de la Pléiade intitulé Ecrits intertestamentaires. Une apocalypse était un récit poétique, fantastique, destiné à répondre aux questions des gens sur la fin des temps, en dévoilant le mystère caché (c’est le sens du mot apocalyptein en grec). Toutes les civilisations ont produit des littératures sur cette question: quelle sera la fin de l’histoire? comment l’humanité finira-t-elle? Est-ce que le bien va triompher du mal, est-ce que nous serons jugés, condamnés, sauvés, engloutis dans un grand remplacement, une grande glaciation ou au contraire dans une conflagration de feu, une ekpurosis, comme le pensaient les Stoïciens (relisez le Timée de Platon)? Bref, tout le monde ancien parlait de cette question, et Jésus raconte à son tour, d’une manière poétique, et très codée, sa propre apocalypse. Seulement, elle rend un son assez différent.

Bien sûr Jésus sacrifie au genre littéraire, il décrit un drame cosmique. La cosmologie du temps dessinait une terre plate surmontée d’une voûte céleste où s’accrochaient les astres. Mais là, tout s’effondre : la lune et les étoiles – Jésus reprend des images du prophète Joël –  tombent dans la mer. Je pense qu’on peut facilement décoder ce langage: les astres (la lune, les étoiles) étaient pour les Anciens des divinités. Mais Jésus pense que ce sont des dieux boiteux, très mal accrochés à la voûte céleste. Les faux dieux – ceux que nous fabriquons jour après jour, frères et soeurs – les faux dieux n’ont pas une grande résistance ni une grande longévité. Alors, ils s’effondrent et c’est la nuit. Toutes nos lumières artificielles s’éteignent. Imaginez un peu: pénurie de carburant (plus de promenade ou de travail), pénurie alimentaire, les rayons vides et désertés de votre supermarché, pire encore: grève à France-Télévision. Apocalypse now.

Mais le récit de Jésus ne s’arrête pas là. La ténèbre où nous a plongés la chute des astres est salutaire, car elle permet de voir venir un être de lumière. Au coeur de la nuit, le Fils de l’homme vient. Jésus emploie cette expression de « fils de l’homme » un peu mystérieuse au prophète Daniel , pour se désigner lui-même. Le Fils de l’homme vient, « avec grande puissance et grande gloire » dit Jésus. Celui-là n’est pas un dieu de pacotille, il est fort, sa gloire remplit la terre et le ciel. C’est ce que nous croyons – je vous le rappelle en passant – et que nous professons chaque dimanche en récitant le credo de Nicée: Il reviendra dans la gloire… Et nous ajoutons: Pour un règne qui n’aura pas de fin. Un royaume qui comblera tous nos désirs, qui sera de paix, de justice, de lumière, tout ce qui nous manque cruellement maintenant. C’est donc une bonne nouvelle. L’apocalypse de Jésus, c’est sa venue, qui change tout. Qui fait enfin tomber les faux-Dieux et nous met en présence du vrai Dieu, du Seigneur de notre vie.

Quand cela se produira-t-il? La réponse de Jésus a l’air un peu flottante. Il semble à la fois savoir (cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive) et ne pas savoir (nul ne le sait, pas même le Fils). Alors, il sait ou il ne sait pas? Je suggère l’interprétation suivante. La venue du Fils est en effet toute proche, cette génération ne passera pas, parce que « cette génération » désigne tout homme qui rencontre Jésus, hier ou aujourd’hui. Connaître Jésus, c’est toujours appartenir à la génération qui attend, pour très bientôt, une apocalypse de l’amour, une révélation du don de l’amour de Dieu. Et cette apocalypse heureuse, elle se produit pour chacun de nous, et encore ce matin dans l’eucharistie.

D’un autre côté Jésus a raison de dire que nul ne le sait pas même le Fils, parce que c’est quand il abandonne tout pouvoir entre les mains de son Père, tout savoir, toute volonté, que l’Amour peut se déployer, dans la mort et la résurrection. Jésus vient et nous sauve parce qu’il remet sa vie. Sa gloire tient à ce qu’il la rapporte au Père. Alors, dans les ténèbres de notre existence, une vraie lumière resplendit.