Chanoines réguliers de Prémontré
29
Mars
Vendredi Saint - In Passione Domini
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XXIVè dimanche du T.O – 12 septembre 2021

« La plus grande épreuve qui puisse être donnée à un homme, c’est la rencontre d’un autre homme, car elle le révèle à lui-même. Et il arrive que tantôt elle le comble et tantôt qu’elle le supplicie.[1] » Ainsi, qui donc est l’autre que je croise, qui vient à ma rencontre ou avec qui je chemine ? Or, c’est souvent à travers un échange de paroles que cette rencontre prendra consistance. Et nous devons réaliser que les choses qui comptent entre les êtres, ne peuvent se dire machinalement. Non ! Elles viennent, chemin faisant, et surgissent à l’occasion d’un moment inattendu mais suscité, espéré… à la découverte de la personne de l’autre.

L’identité de Jésus est, pour ses contemporains, une énigme particulière. Ils discernent en lui une puissance de parole qu’ils mettent effectivement en rapport avec leur attente messianique. Mais d’un autre côté, ils rêvent leur avenir à l’image de leur passé, sans pouvoir s’ouvrir encore à la nouveauté de la Révélation de Jésus.

Alors, chemin faisant, Jésus parle avec ses disciples au risque de les déstabiliser dans leurs attentes : il n’est pas là pour supplanter César, mais pour témoigner de qui sont et l’homme véritable et le Dieu vrai. Et Jésus de raconter ouvertement par où il doit aller pour être en vérité avec lui-même.

Alors, chemin faisant, Jésus interroge ses disciples :

« Au dire des gens, qui suis-je ? »« Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? ». Les deux questions se succèdent : la première interroge sur l’image que les gens renvoient de leur maître aux disciples, comme une sorte de révélateur. « Jean-Baptiste, Elie, un prophète… » Autant d’identités connues qui se réfèrent à une histoire commune du peuple de Dieu en attente d’un messie.  La seconde va plus loin ; elle implique directement les disciples eux-mêmes. « Pour vous, qui suis-je ? » Qu’avez-vous perçu, qu’avez-vous compris que je suis, depuis le temps que nous vivons en proximité ? Elle oblige les disciples à se situer dans une relation de vérité avec Jésus. A eux de répondre… Dans l’élan de sa spontanéité coutumière, Pierre devance ses compagnons et  se situe pour la première fois en porte-parole du groupe et dit : « Tu es le Christ »… Pierre se risque ici vers une autre parole : celle de l’intime. Pierre vient d’oser la déclaration la plus extraordinaire que l’on pouvait imaginer à l’époque: « Tu es le Christ. » Et l’on est surpris de la réaction de Jésus ; il ne refuse pas le titre, mais aussitôt il donne une stricte consigne de silence.

Alors, dans le même mouvement Jésus commence « à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. »

Jésus est bien le Messie qu’on attend, mais pas du tout comme on l’attend ! Aimer sans mesure, jusqu’à consentir à la souffrance d’aimer, de se livrer, d’être abandonné et méprisé. Position à l’opposé d’un messie politique. Pierre d’ailleurs n’apprécie pas le propos de Jésus ! A cette annonce douloureuse, Pierre refuse de suivre le Christ dans la souffrance. D’ailleurs Jésus affronte ce refus spontané de Pierre comme une véritable tentation pour lui-même et il le lui dit avec véhémence « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ».

Peut-être en sommes-nous bien souvent au même point que Pierre. Vouloir que notre Dieu nous dise ce qui nous conforterait dans nos représentations et nos idées et surtout ne nous demanderait pas de nous impliquer corps et âme.

Que nos vues soient spontanément « humaines », quoi de plus naturel ! Mais il nous faut laisser l’Esprit les transformer, parfois même les bouleverser complètement, si nous voulons rester fidèles au plan de Dieu. Le plan de salut de Dieu ne s’accommode pas d’un Messie triomphant : pour que nous « parvenions à la connaissance de la vérité », comme dit Paul (1 Tm 2, 4), il faut que nous découvrions le Dieu de tendresse et de pardon, de miséricorde et de pitié ; cela ne se pourra pas dans des actes de puissance mais dans le don suprême de la vie du Fils : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jn 15, 13). Et dans le don suprême de toute notre vie… Y sommes-nous prêts, autrement que par des mots ?

Comme tous ses disciples de tous les temps, depuis notre baptême, nous sommes conviés par Jésus à sa suite. Et notre chemin de disciple sera également vers Jérusalem. La Jérusalem d’aujourd’hui pour nous c’est le lieu du dévoilement de la vérité de nos vies et de nos engagements. Jérusalem où eut lieu cette confession de foi inouïe : celle du centurion regardant le crucifié : « Celui-ci était vraiment fils de Dieu ! » (Mt 27, 54).   Puissions-nous dire – et faire – de même, du fond de notre cœur.


[1] Louis LAVELLE in Conduite à l’égard d’autrui. Albin Michel, Paris 197, page 34.