Écrit par f. Norbert

XVIIè dimanche du T.O – 24 juillet 2022

C’est la bonté de Dieu que les lectures de ce jour offrent à notre méditation. Dieu ne se lasse pas de faire miséricorde : nous l’avons lu avec l’intercession d’Abraham pour les villes de Sodome et Gomorrhe, nous l’avons lu avec le propos de Paul aux Colossiens qui médite sur le salut par le Christ, nous l’avons entendu dans l’Évangile avec la petite parabole de celui qui vient demander du pain la nuit. Ce matin, j’aimerais simplement contempler avec vous cette bonté divine, et en tirer une implication pour notre vie chrétienne, au sujet de l’obligeance du pardon. 

Nous avons beaucoup de chance, frères et sœurs, parce que l’échafaudage du chœur a été en grande partie démonté cette semaine, et nous pouvons contempler ce matin la magnifique croix dressée au fond du chœur, qui surplombe toute l’abbatiale, à la manière d’une figure de proue. Nous voyons que la croix du Christ transperce un hideux dragon à la langue fourchue. Nous voyons que, sur la croix, le Christ a vaincu le mal, qu’il a vaincu la mort et qu’il règne pour toujours. Nous constatons qu’au pied de la croix, assis à califourchon sur l’hideux dragon à la langue fourchue, il y a un petit ange replet et joufflu, qui porte un écriteau sur lequel il est indiqué que le Christ « a effacé le billet de la dette. » Le sculpteur avait lu la lettre de Paul aux Colossiens, que nous avons entendue dans la deuxième lecture. 

Ce que notre abbatiale exprime, c’est ce propos de Paul aux Colossiens : « Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix. » Autrement dit, le Seigneur Jésus nous a rachetés, il a effacé notre ardoise, il a remboursé ce que nous devions en mourant sur la croix et en ressuscitant d’entre les morts. Voilà le cœur de la foi chrétienne, tel qu’il est exprimé dans le chœur de l’abbatiale : par sa mort et sa résurrection, nous vivons ; sa mort et sa résurrection nous délivrent de nos dettes, de nos péchés et de notre mort ; elles nous donnent la vie. Au début de la deuxième lecture, Paul ne disait pas autre chose : « Frères, dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. »

Cet homme sans-gêne qui importune un ami au milieu de la nuit, qui dérange son sommeil paisible, c’est nous qui implorons le salut, nous sommes comme Abraham qui négocie le salut de Sodome et Gomorrhe : « Peut-être y-a-t-il seulement cinquante justes dans la ville », « Peut-être y-a-t-il quarante-cinq justes », « peut-être y-a-t-il quarante justes », « peut-être y-a-t-il trente justes. » Non, frères et sœurs, Dieu n’attend pas que nous soyons justes pour nous sauver, parce que c’est lui et lui seul qui peut nous justifier, qui peut nous rendre justes. 

Ce don du salut que Dieu nous prodigue a une incidence pour notre vie chrétienne. Puisque nous sommes rendus justes par le Christ, nous sommes obligés par le pardon. Tout à l’heure, après la prière eucharistique et avant de nous avancer pour communier, nous chanterons la magnifique prière du Notre Prière, que le Seigneur Jésus a apprise à ses disciples. Au cœur de cette prière, nous dirons : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Comprenons bien cette phrase, frères et sœurs : le don de Dieu n’est pas proportionné à la mesure de notre pardon, il n’est pas étriqué, pas limité. 

C’est au contraire notre pardon qui doit prendre la mesure du pardon de Dieu. C’est notre pardon qui doit s’élargir et se dilater aux dimensions du don divin. Voilà ce à quoi nous sommes invités. Sans quoi, nous contracterons de nouvelles dettes. Paul, qui était au fait des réalités économiques – il aurait sans doute fait un bon économe ou un bon directeur des affaires financières -, écrit aux Corinthiens que le Christ Jésus nous a donnés « les arrhes du salut ». Non seulement nous sommes débarrassés de nos dettes, mais en plus nous avons reçu des arrhes : nos affaires sont prometteuses, elles sont florissantes. À nous de les faire fructifier, à nous d’aimer et de pardonner à la mesure sans mesure avec laquelle Dieu nous a aimés et nous a pardonnés.