Écrit par f. Hugues

XIXè dimanche du temps ordinaire – 8 août 2021

Vous savez peut-être que dans le réfectoire de l’abbaye nous mangeons en silence en écoutant un livre, et notre frère bibliothécaire (qui a le nez fin…) vient de nous proposer un livre sur les parfums naturels, témoignage d’un « sourceur » qui recherche dans le monde entier les matières premières naturelles des parfumeurs : vanille, patchouli, benjoin, bois de rose…

Si je vous parle de cela, ce n’est pas uniquement pour complimenter le frère bibliothécaire pour ce choix original et intéressant (on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même…), mais aussi parce que saint Paul dans la Lettre aux Éphésiens (la deuxième lecture) nous invite à être « comme un parfum d’agréable odeur » (Ep 5, 2), parce que le parfum peut nous aider à comprendre notre relation à Dieu : le parfum qui nous attire, le parfum qui n’existe que de se donner, le parfum qui fait durer la présence de celui qui le porte.

  1. « Comme un parfum d’agréable odeur… » : Dieu est tout d’abord comme un parfum qui nous attire. Le parfum est ainsi une belle image de l’action de Dieu sur nous, une action d’attraction, d’attirance.

Dans l’évangile, Jésus nous dit en effet : « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire» (Jn 6, 44) ; Dieu nous « attire » (helkusê), Dieu nous « tire » pourrions-nous aussi traduire. Comment comprendre cette attirance cachée ? Comment peut-on être attiré, tiré par Dieu, en restant des hommes libres ? C’est au fond la grande question chrétienne de la grâce et de la liberté, de Dieu qui fait tout en l’homme qui reste totalement libre. Comment Dieu agit-il dans nos vies, nous qui habituellement ne recevons pas directement la visite des anges comme le prophète Elie ?

Réfléchissant à cette question, Notre Père saint Augustin comprend que Dieu agit en nous, en nous attirant lui, en jouant sur notre plaisir au bien, au beau. Et pour le montrer, il cite justement un verset olfactif du Cantique des Cantiques : « si nous devons être tirés, soyons tirés par celui auquel celle qui aime adresse ces paroles : “à l’odeur de tes parfums nous courrons” (Ct 1, 4)[1] ».

C’est que l’attirance qu’exerce sur nous un parfum éclaire l’attirance par laquelle Dieu nous tire vers lui : lorsque nous sentons un parfum agréable – de patchouli ou de gâteau au chocolat, de jasmin ou de gigot d’agneau (selon les goûts) -, nous sommes attirés, à la fois librement et irrésistiblement ; d’une attirance invisible qui dépasse le langage (les mots sont pauvres pour les odeurs), d’une attirance qui dépasse la raison, d’une attirance qui nous fait déjà goûter ce que nous devinons. C’est ainsi que Dieu nous attire à lui, tel un parfum.

  • « Comme un parfum d’agréable odeur… » : Dieu est aussi comme un parfum qui n’existe que de se donner. Le parfum ne sert à rien s’il reste enfermé dans son flacon, il n’existe que pour se donner en se répandant, se perdre en se répandant, disparaître en emplissant l’air.

En ceci aussi le parfum dit qui est Dieu pour nous, car si saint Paul parle du parfum aux Éphésiens, c’est pour désigner le sacrifice du Christ : « le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréableodeur » (Ep 5, 2). Dans la Bible, en effet, le parfum est souvent le parfum des sacrifices, encens brûlés, viandes immolées, dont l’odeur monte comme la prière devant la face de Dieu.

Le parfum nous dit le sacrifice que Dieu a fait de lui-même, en Jésus-Christ, « chair, donnée pour la vie du monde » (Jn 6, 51), pour nous sauver. Le parfum par lequel Dieu nous attire à lui, c’est le parfum du sacrifice du Christ sur la Croix : dans la Croix, nous sentons, nous contemplons un tel don de soi que nous sommes irrésistiblement attirés ; dans la Croix, est remis l’Esprit saint qui vient accomplir en nous cette attirance, qui vient en nous, nous faire aimer Dieu.

  • « Comme un parfum d’agréable odeur… » : comme un parfum aussi qui fait durer la présence. Nous avons l’expérience de cette odeur de celui qui vient de quitter la pièce, mais qui est encore là par son parfum, sa présence continuée. En cela le parfum dit aussi notre mission de chrétien.

Depuis l’onction de notre baptême, en effet, nous « sommes la bonne odeur du Christ » (2 Co 2, 15) ; Jésus-Christ est remonté au ciel, nous ne le voyons plus dans sa chair, mais nous sommes sa présence continuée dans le monde, nous sommes là pour attirer vers lui les autres hommes, ceux qui ne portent pas ce parfum.

Cette « bonne odeur du Christ », nous savons que c’est le parfum du sacrifice, du don de soi ; être la « bonne odeur du Christ » se réalise dans le don de nous-mêmes par amour pour notre prochain, notamment lorsque nous prenons soin de ceux que notre société ne veut plus sentir : les malades, les rejetés.

Nous sommes ainsi « la bonne odeur du Christ »,  mais nous savons bien que pour sentir bon, il ne suffit pas d’ajouter un peu de parfum pour « couvrir », il faut aussi ôter les sources de puanteur (se parfumer oui … mais aussi se laver) ; pour être la bonne odeur du Christ, il nous faut aussi nous purifier de nos péchés, nous convertir, nous détourner de tout ce qui nous fait pourrir intérieurement et qui exhale autour de nous : la rancune, la jalousie, le désespoir.

Dans quelques instants dans l’eucharistie, nous allons communier au sacrifice du Christ :

  • Que cette communion contribue à nous attirer toujours davantage vers Dieu,
  • Que cette communion nous aide à devenir « la bonne odeur du Christ », une odeur de  don de soi ; une odeur qui chasse toute puanteur ;
  • En attendant le jour où, dans le « réfectoire céleste », au festin des Noces de l’Agneau, nous consommerons enfin les nourritures divines dont nous n’avons encore eu que l’avant-goût, que « le parfum ».

[1] Augustin d’Hippone, 26ème Homélie sur l’Évangile de Jean, 5.