Solennité de l’Assomption – 15 août 2021
Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme. Au carrefour central du bourg, la grange où Eugène et Joseph pilent les ajoncs pendant des heures, chaque soir. Mais ce soir-là, dans la nuit froide de l’hiver où la voûte étoilée est si pure qu’on pourrait toucher les étoiles, mettant le nez dehors, Eugène, puis Joseph son frère et d’autres avec lui, aperçoivent dans le ciel une belle dame. Durant trois heures, Marie se montre, avec un visage maternel, à des enfants à la foi profonde. La Dame est vêtue d’une robe bleue, parsemée d’étoiles d’or. Sur sa tête, couverte d’un voile noir retombant en arrière, repose une couronne d’or, parée d’un liseré rouge. Autour d’elle, trois étoiles étincelantes, disposées en triangle, marquent le haut de la vision. Les mains étendues et le visage souriant, la Vierge regarde les enfants. Tandis que les habitants du village se rassemblent et voient aussi les trois étoiles, une petite croix rouge s’imprime sur la robe de la Vierge, du côté gauche, tandis qu’un ovale bleu, à l’intérieur duquel sont fixées quatre bougies, entre dans l’apparition. Le curé arrivé sur place invite la foule à réciter le chapelet. Bientôt, se déroule sous les pieds de Notre Dame une banderole où, successivement, s’inscrivent des lettres d’or, qui composent ces paroles, épelées à haute voix par les enfants : « Mais priez mes enfants. Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon Fils se laisse toucher. » Les enfants sautent et crient devant cette merveilleuse vision en répétant : « Qu’elle est belle ! Qu’elle est belle ! » C’était il y a 150 ans cette année, dans un petit village de Mayenne, près de Laval, Pontmain. 1871, la situation de la France envahie par les Prussiens est désespérée, celle de l’Eglise qui a dû interrompre le concile du Vatican, n’était guère plus favorable. Il est bon parfois, pour garder la tête froide, de nous souvenir de notre histoire, et des épreuves que nos pères ont traversées.
Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme. Recevons ce matin, en cette fête de l’Assomption, le témoignage de l’Apocalypse. Quelle est cette Femme ? Elle se détache sur le ciel, elle est revêtue de puissance et tous les astres l’habillent. Et cependant, elle est poursuivie par le Dragon. Cette Femme, c’est l’Eglise. Il s’agit d’un signe dans le ciel, sans indication précise de temps, parce que l’Eglise dure depuis le commencement du monde, depuis Abel le juste, jusqu’au dernier des sauvés. « Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent », chante Marie dans son Magnificat. Cette Eglise a pour vocation de donner à Dieu des enfants. A un moment précis de l’histoire, le temps de la venue du Messie, elle est alors représentée par Marie, la femme qui met au monde un fils, un enfant mâle, berger de toutes les nations, le Christ. Les Evangiles nous montrent Satan qui s’attaque au Christ : les récits de l’enfance, chez saint Matthieu, nous parle d’Hérode voulant tuer l’enfant. Au désert, lors des tentations, Satan essaye de faire tomber Jésus. Et saint Jean nous présente encore Satan, entrant dans le cœur de Juda, pour machiner la mise à mort du Messie. Mais l’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu, nous dit l’Apocalypse. Au jour de l’Ascension, le Christ ressuscité, monté au ciel, échappe définitivement aux prises du Malin. Désormais, l’Eglise entre dans un nouvel âge, celui où nous vivons : la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. Quel est ce désert si ce n’est le monde où l’Eglise doit vivre, dans le monde sans être du monde. Le désert, c’est le lieu biblique où Dieu prend particulièrement soin de son peuple : il délivre son peuple, le fait sortir d’Egypte, et le conduit au désert, comme sur des ailes d’aigle. Ce désert est le lieu où Dieu conduit son épouse pour parler à son cœur, nous dit le prophète Osée. Dieu prend donc soin de son Eglise poursuivie par le Dragon, durant tout le temps où ce dernier s’en va guerroyer contre la descendance de la Femme, contre ceux qui gardent les commandements de Dieu et qui ont le témoignage de Jésus, dit encore l’Apocalypse.
Ainsi la Femme est-elle l’Eglise, depuis la chute, après le péché originel, lorsque Dieu disait au Serpent, symbole du Mal, qu’il mettrait une hostilité entre lui et la femme, jusqu’à l’heure de la Parousie, du retour définitif du Christ. Et durant tout ce temps, l’Eglise s’efforce de donner à Dieu des enfants d’adoption, depuis les justes de l’Ancienne Alliance, les patriarches et les prophètes, jusqu’aux saints de la Nouvelle Alliance. A un moment du temps, qui a fait entrer l’Eglise dans la plénitude des temps, il lui a été demandé de donner naissance au Fils unique, le Verbe de Dieu, fait chair. Jamais l’Eglise n’a été davantage l’Eglise qu’alors, et c’est en Marie, la Vierge, que l’Eglise a été pour ainsi dire rassemblée, concentrée, personnifiée. Au nom de toute l’Eglise, au nom de tout le genre humain, Marie prononce son « oui » à la parole de l’Ange, son « Fiat » pour que l’incarnation s’accomplisse. Dans la grande évocation de l’Apocalypse, la Vierge Marie est par excellence la Femme qui enfante.
Ainsi c’est en Marie que l’Eglise est devenue ce qu’elle doit devenir tout le reste de sa vie : la Mère, l’Epouse et la Vierge. Car l’Eglise est Mère, c’est elle qui, par la transmission de la foi et par le baptême nous a enfantés à la vie d’enfant de Dieu. L’Eglise est Epouse, c’est elle qui par le sacrement de l’eucharistie, nous unit au Christ lui-même dont nous sommes le corps, par l’Esprit Saint. L’Eglise est Vierge, parce qu’elle n’a pas d’autre époux que le Christ, et c’est elle qui, par le sacrement du pardon, nous redonne la pureté de notre baptême, quand notre infidélité nous a éloigné de l’unique époux et saint Paul n’hésite pas à comparer l’Eglise de Corinthe à une vierge pure : « je vous ai fiancé à un époux unique, comme une vierge pure à présenter au Christ ».
La fête de l’Assomption, en nous donnant à voir la destinée de Marie, nous montre aussi quelle est l’espérance de l’Eglise. Un grand signe dans le ciel : une Femme. Dans ce monde, nous n’avons rien à espérer, parce que la mort y a toujours le dernier mot, nous n’avons rien à espérer si ce n’est que les cœurs des hommes qui vivent sur cette terre s’ouvrent soudain à l’amour sauveur du Dieu qui est au ciel, et qui est venu sur cette terre pour nous donner sa Vie. Oui, dans le ciel, nous avons tout à espérer, nous avons à espérer l’inespéré, l’humanité toute entière enfin réconciliée et restaurée, avec l’ensemble de la création nouvelle, dans le Christ. Marie est dans l’Eglise, qui vit à la fois dans le ciel et sur la terre, celle qui par sa présence, nous apprend à vivre de cette espérance. Et notre mission, dans ce monde, est de faire briller, dans nos yeux et dans nos cœurs, les étoiles de cette espérance, pour que l’humanité entière soit touchée par la charité du Christ. « Mais priez mes enfants. Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon Fils se laisse toucher. » Amen !