Chanoines réguliers de Prémontré
7
Déc
S. Ambroise, évêque et docteur
Écrit par

Vè dimanche du T.O. – 6 février 2022

Ce passage d’Évangile est bien connu. Nous l’entendons après tout plusieurs fois par an. N’est-ce pas d’ailleurs le problème, car à la messe, c’est toujours pareil ! Je souhaiterais aujourd’hui vous montrer la richesse de l’Évangile justement à travers ce passage de l’Évangile qui nous semble bien connu et dont nous passons bien souvent à côté de la richesse.

Pour cela, je vous propose tout d’abord de comparer ce passage à ses parallèles dans les 3 autres évangiles. Nous pourrons alors en comprendre les dissemblances ou les ressemblances. Enfin nous chercherons bien sûr ce que cela peut nous apporter dans notre vie, ou au moins ce que cela nous fait comprendre de Dieu.

Chacun des 4 évangélistes relate l’appel de Pierre au début de leur évangile, marquant ainsi chacun le caractère fondamental de cet appel dans la constitution du collège apostolique des 12 apôtres. Mais il apparaît vite des différences dans le récit de chacun. Chez saint Matthieu et chez saint Marc -c’est la version que l’on connaît le plus- Jésus passe sur le bord du lac de Galilée, il voit Simon-Pierre, André son frère, Jacques et Jean. Il les appelle « et laissant tout ils le suivirent ». Il n’y a donc pas de pêche miraculeuse, ni de prédication aux foules comme dans le passage de l’évangile de saint Luc que nous avons lu aujourd’hui. Ces éléments du récit existent bien dans les deux évangiles selon saint Marc et saint Matthieu, mais à une autre place dans le texte. Chez saint Luc, la prédication et la Pêche miraculeuse sont le contexte de l’appel de Pierre, André, Jacques et Jean.

Chez Saint Jean, le récit est différent. L’appel de Pierre et André ne se fait plus sur le bord du lac de Galilée, mais sur le bord du Jourdain, où ils sont des disciples de Jean le Baptiste. C’est André -avec probablement Jean, bien qu’il ne soit pas nommé- qui rencontre le Christ en premier. Pierre est ensuite conduit au Christ par son frère.

Les différences entre ces quatre récits sont donc assez importantes. Quelle est la bonne version ? De nombreuses personnes ont essayé de reconstituer ce qui s’était réellement passé en essayant de faire coïncider les récits. Ces essais ont toujours échoué, car ils appauvrissent beaucoup la Parole de Dieu. En effet, pour reconstituer une seule histoire de l’appel de Pierre à partir des quatre évangiles, il faudrait supposer que Pierre a été appelé deux fois ? Cela signifierait donc qu’il a aussi tout laissé deux fois. L’un des deux abandons n’aurait donc pas eu de véritable valeur. Non, il faut plutôt se tourner vers une autre interprétation de ces variantes. Ce que l’on peut dire c’est que les évangélistes ont tous plus ou moins utilisé les mêmes événements, leur donnant des contextes différents et ainsi un sens qui leur semblait cohérent avec leur souvenir et l’enseignement du Christ.

Par exemple, la pêche miraculeuse que décrit saint Luc, nous en retrouvons une semblable chez saint Jean, après la Résurrection. Souvenez-vous ; Jésus apparaît aux disciples alors qu’ils ont pêché toute la nuit sans rien trouver. Sur ce point, le récit de saint Jean ressemble beaucoup au passage de l’Évangile de saint Luc entendu en ce jour. Chez saint Luc, comme chez saint Jean, la pêche miraculeuse manifeste la divinité de Jésus. Chez les deux, Pierre reconnaît en Jésus le Seigneur, le Messie. Pour saint Luc, c’est au début de la vie publique de Jésus, et cela permet au lecteur de comprendre que Jésus est vraiment Dieu. Et c’est ainsi que Pierre le reconnaît et le confesse : Jésus est Dieu. Par-là, Pierre acquiert une grande légitimité comme premier parmi les apôtres. Dans l’évangile selon saint Jean, la reconnaissance de Jésus par Pierre, intervient après la Passion et donc après la trahison de Pierre. Elle permet donc de réintégrer Pierre comme apôtre. Pierre y a d’ailleurs une attitude très semblable à celle décrit dans la pêche miraculeuse de l’évangile selon saint Luc. Donc la Pêche miraculeuse placée à deux endroits distincts du récit de saint Jean et de Luc joue un rôle proche dans l’affirmation de Pierre comme premier disciple. Cela ne signifie pas que la place de la pêche miraculeuse n’a pas d’importance pour saint Jean et saint Luc, car ils ont écrit le récit de la vie de Jésus avec beaucoup de soin. Mais nous pouvons supposer qu’aussi bien pour saint Jean que pour saint Luc, la pêche miraculeuse était associée à la distinction de Pierre parmi les douze autres disciples, que ce soit comme premier appelé chez saint Luc ou comme recevant la charge de l’Église chez saint Jean.

Ces variations dans la chronologie ou dans les détails des évangiles ne sont pas ce qui importe le plus. Ce qui importe, c’est ce que Pierre a rencontré le Christ, d’une manière qui nous échappe en partie, malgré quatre récits, mais il a reconnu en lui Dieu et il a tout abandonné pour Le suivre, jusqu’à sa propre mort.

La comparaison de l’appel de saint Pierre dans les quatre évangiles révèle donc une grande dissemblance, malgré de nombreux éléments communs. Ces dissemblances ne doivent pas nous faire douter de l’authenticité des évangiles, mais elles nous rappellent que la Bible est écrite pas des hommes inspirés par l’Esprit Saint. Les différences entre un évangile et un autre sont donc une richesse. Ainsi, je vous propose de faire une expérience. Lors d’une réunion avec vos amis, votre famille ou vos collègues, demandez à chacun un récit d’un événement que vous avez tous vécu. Le résultat sera étonnant et drôle. En effet, vous verrez que cet événement est rapporté de manière très différente par une personne ou une autre. Cela ne remet pas en cause l’existence de l’événement, mais cela montre que la compréhension qu’en a chacun influe sur ces souvenirs et le récit qu’il en fait. Et vous vous retrouverez avec l’envie irrépressible de compléter ce qui vous parait manquer par rapport à vos propres souvenirs !

Il y a bien eu un seul appel de Pierre, mais il nous est raconté par quatre personnes différentes dont trois : Matthieu, Marc, Luc n’ont pas été témoins de la scène. Ces quatre témoignages relatent un seul événement : l’appel de Pierre. Les détails qui diffèrent et les points de ressemblance sont une richesse. Et tous vont dans le même sens : ce récit est celui d’un appel. Le Christ appelle et cet appel transforme la vie. Celle de Pierre, celle des autres apôtres, et les nôtres aussi.

Au terme de cette homélie, deux éléments se dégagent. Tout d’abord, l’appel de Pierre a bien résonné dans sa vie et il peut résonner aussi dans notre vie si nous laissons le Christ nous parler. Deuxièmement le Christ nous parle par la Parole de Dieu, cette Bible que nous lisons chaque jour à l’Église. Cette Bible, écrite par des Hommes et inspirée par l’Esprit Saint, est à l’image de Dieu, riche, grande et toujours abondante. Je vous invite à lire la Bible et en particulier les quatre évangiles. Vous pourrez alors suivre le Christ tel que les évangélistes l’ont vu, et peut-être que vous aussi comme saint Pierre vous entendrez cette parole résonner en vous : « viens et suis-moi ! »