Écrit par F. François-Marie

Pentecôte – 5 juin 2022

Pentecôte, fête du don de l’Esprit Saint. Oui, mais pourquoi faire ? Quel est le travail de l’Esprit, quel est son savoir-faire ? La mission de l’Esprit n’est-elle pas justement de nous mettre au travail, de nous permettre d’agir et de faire ? Nous trouverons alors le sens profond de notre existence et de celle du monde. Trois aspects de ce travail de l’Esprit me semblent ressortir des textes d’aujourd’hui : l’Esprit fait de nous des vivants ; il dilate sans cesse notre capacité d’aimer ; enfin, il nous apprend à dire les merveilles de Dieu.

L’Esprit Saint fait de nous des vivants. Avant d’être une fête chrétienne, la Pentecôte, Chavouot, est une fête juive, un des grands pèlerinages prescrits pour se rendre à Jérusalem. Il s’agit de la fête de la moisson, pour présenter à Dieu les prémices des travaux des semailles dans les champs. Le livre d’Ezéchiel au chapitre 36, relie le don de l’esprit : « je mettrai mon esprit en vous », et la fin de la famine « j’appellerai le blé et le multiplierai, je multiplierai les fruits des arbres et les produits des champs. » L’Esprit est, dès l’origine, l’Esprit créateur, l’Esprit qui donne vie à toute chose, qui renouvelle la face de la terre. Nous l’avons chanté dans le psaume 103 : « Tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créées ». L’Esprit est bien ce souffle qui donne vie et fait de nous des vivants. Le travail de l’Esprit de vie, c’est de faire en sorte que la vie puisse toujours se frayer un passage à travers nos existences. C’est peut-être cela, le sens profond de notre présence sur cette terre, faire passer la vie. L’Esprit vient comme un violent coup de vent, qui se fraie un chemin à travers la maison. Quelle est la différence entre le regard du géologue et celui de l’alpiniste devant une falaise rocheuse ? Le premier observe la nature de la roche de manière neutre, le second cherche les anfractuosités, les reliefs et les prises qui vont lui permettre d’ouvrir la voie. Pour nous-même d’abord, mais aussi pour les autres, ce qui compte, c’est d’avoir ce regard non pas neutre ou indifférent, mais qui cherche à reconnaître cette vie, parfois cachée, qui a du mal à se frayer un chemin à travers les épreuves, et faire notre possible pour la reconnaître, l’aider à accomplir sa route, depuis son commencement et jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle. Prions pour que chacun puisse trouver sa voie, parmi les vivants ! Saint Paul ne donne une parole d’espérance : « si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous ».

Le deuxième travail de l’Esprit est de dilater notre capacité d’aimer. La fête juive de la Pentecôte commémore aussi, dans la tradition rabbinique, le don de la Loi au mont Sinaï. Au livre de l’Exode, nous lisons que Moïse monte sur ordre de Dieu sur la montagne pour que Dieu lui donne les tables de pierre, la loi et le commandement. Il y a alors des coups de tonnerres, des éclairs. « Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent », dit en écho le livre des Actes des Apôtres. Au Sinaï, l’aspect de la gloire du Seigneur était aux yeux des Israélites celui d’une flamme dévorante au sommet de la montagne (Ex 24, 17). « Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint. » La Pentecôte chrétienne est le don de la loi d’amour, ce don que Dieu nous offre en répandant en nous son Esprit d’amour, l’Esprit de Jésus qui a livré sa vie sur la Croix par amour pour nous. Le travail de l’Esprit est de dilater notre cœur pour nous tourner vers Dieu et crier vers lui « Abba » ! « Père » ! « Abba », c’est dire Père avec amour. Les deux mots désignent la même réalité, mais on peut dire « Père » avec froideur et distance ou le dire affectueusement, avec amour, comme des enfants bien-aimés. Telle est l’œuvre de l’Esprit en nous. Il dilate notre capacité d’aimer et nous pousse à nous laisser conduire par cet Esprit d’amour, en tous nos actes, toutes nos décisions, toutes nos pensées.

Nous avons tous, en nous, une capacité d’aimer. Mais la capacité ne suffit pas, il s’agit de la mettre en œuvre et le travail de l’Esprit est mettre cette capacité au travail, ce capital au profit des autres ! J’aime cette histoire que raconte saint François-Xavier dans une lettre à saint Ignace. Nous sommes en 1541. Il parle de son arrivée en Indes portugaises, à Goa. Il y découvre des chrétiens indigènes, mais privés de prêtres et qui ignorent tout de la foi. Il écrit : « Les enfants ne me laissent ni réciter l’office divin, ni manger ni me reposer tant que je ne leur ai pas enseigné une prière. Alors, je commence à saisir que le royaume des cieux appartient à ceux qui leur ressemblent. » L’Esprit Saint dilate le cœur du missionnaire de 35 ans. Il lui donne une capacité d’aimer qui lui fait annoncer l’Evangile et catéchiser les enfants en s’oubliant lui-même. Et l’Esprit lui donne aussi de se souvenir de ce que Jésus a dit : « laisser les enfants venir à moi, le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent ». N’est-ce pas justement ce que Jésus a promis à ceux qui l’aiment et gardent sa parole : « L’Esprit Saint vous enseignera tout, il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » Ce n’est pas de manière théorique que l’Esprit réveille notre mémoire, mais bien au cœur même de ce travail de dilatation de notre amour, de notre charité.

Les textes de ce jour évoquent enfin un troisième travail de l’Esprit : il nous apprend à dire les merveilles de Dieu. Le jour de la Pentecôte, les apôtres se mirent à parler en d’autres langues et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit… et chacun entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. « Que le langage devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel » demande le pape François dans son exhortation sur la joie de l’Evangile (§ 27). Là, nous sommes devant un vrai défi : comment annoncer l’Evangile aujourd’hui ? Avec une logique imparable, saint Paul dit aux Romains : « Comment invoquer le Seigneur sans d’abord croire en lui ? Et comment croire sans d’abord l’entendre ? Et comment l’entendre sans prédicateur ?… » Le travail de l’Esprit en nous n’est pas seulement de nous faire répéter avec insistance nos convictions, car nous risquons alors de ne convaincre que nous-mêmes et ceux qui pensent déjà comme moi. Le travail de l’Esprit est de m’aider à me décentrer de moi-même pour m’intéresser suffisamment à celui à qui je m’adresse, pour qu’il puisse dire « nous t’entendons parler dans notre langue, notre propre dialecte ». L’Esprit Saint ne propose pas ici une méthode Assimil en accéléré, mais il s’agit d’adapter mes paroles au monde culturel dans lequel celui à qui je parle est apte à me comprendre. Les parents par exemple, se rendent vite compte que leurs enfants n’appartiennent plus tout à fait au même monde qu’eux. Il ne s’agit pas d’adapter l’Evangile, mais mes paroles, qui témoignent toujours maladroitement des richesses de l’Evangile.

Une chose est sûre, pour que les autres entendent les merveilles de Dieu, il faut que nous en soyons nous-mêmes émerveillés. Tel est le travail profond de l’Esprit en nous. Demandons-lui donc d’accomplir encore aujourd’hui son œuvre pour émerveiller nos cœurs, dilater notre amour et frayer un chemin pour la vie véritable. Amen !