Chanoines réguliers de Prémontré
26
Avr
S. Ludolphe, évêque de notre Ordre
Écrit par F. François-Marie

Ascension du Seigneur – 26 mai 2022

Quand on prie le chapelet, le deuxième mystère glorieux nous fait méditer sur l’Ascension et le fruit que nous demandons de cette méditation, c’est l’espérance. Je vous propose de nous arrêter aujourd’hui sur cette vertu.

Qu’en dit le catéchisme de l’Eglise catholique ? Beaucoup de choses, mais nous pouvons retenir au moins le numéro 1817 qui donne une définition de l’espérance. « L’espérance est la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle, en mettant notre confiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit. »

« L’espérance est la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle… »

L’espérance est une vertu. Qu’est-ce qu’une vertu ? Pour Platon, la vertu, c’est la vision de ce qui est vraiment bon, pour Aristote, une disposition stable. Pour l’un comme pour l’autre, la vertu nous rend capable d’agir régulièrement d’une manière bonne. Voilà qui est précieux. Si nous possédons l’espérance, nous serons capables d’agir régulièrement, facilement, avec goût même, précise saint Thomas d’Aquin, selon cette espérance.

L’espérance n’est pas qu’une vertu, mais une vertu théologale. Pourquoi théologale ? Théologale parce qu’elle est donnée par Dieu en vue de nous unir à Dieu. En effet, nous pouvons développer des vertus dans bien des domaines : la vertu du musicien qui développe son talent, du chirurgien qui maîtrise sa technique, du pédagogue qui instruit ses élèves. Mais, quand il s’agit de nous unir à Dieu – et l’espérance a pour but le ciel, la vie éternelle –   Dieu seul peut nous donner cette vertu car Dieu seul nous donne le ciel. Avec saint Paul et toute la tradition chrétienne, la plus grande des vertus, c’est la charité, c’est elle qui nous unit pleinement à Dieu, car Dieu est amour. L’espérance, elle, nous fait désirer cette charité.

Pour autant, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un don de Dieu qu’il n’y a pas une coopération de notre part. Quelle va être cette coopération ? La suite de la définition nous le dit : c’est notre désir : l’espérance est la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur…

Notre bonheur : le mot est important. Toute la morale chrétienne, qui est fondée sur l’acquisition et la croissance des vertus, est une morale du bonheur. On l’oublie trop souvent. Parce qu’on a fait du christianisme un moralisme austère, en oubliant le but, la visée, qui est le bonheur, bien des gens se sont découragés et détournés de la morale chrétienne. La morale chrétienne nous rend-elle heureux, nous autres, religieux, prêtres, croyants, familles ? Les enfants éduqués dans la foi chrétienne sont-ils remplis d’une véritable joie de vivre, d’un bel équilibre humain, d’un esprit de service et de charité, d’ouverture aux autres, de compassion, de fraternité, de pardon ? Souhaitons-le, faisons tout notre possible pour cela.

Mais de quel bonheur s’agit-il ? Nous désirons comme notre bonheur le Royaume des Cieux et la vie éternelle. Notre véritable patrie, c’est le ciel, ce n’est pas la terre, même si c’est bien dans ce monde que nous sommes pour l’instant.  Le Christ monte au ciel et il nous promet de nous y mener nous aussi. La lettre aux Hébreux est très claire à ce sujet : « Frères, c’est avec assurance que nous pouvons entrer dans le véritable sanctuaire grâce au sang de Jésus : nous avons là un chemin nouveau et vivant. » et peu avant il avait dit : « Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, figure du sanctuaire véritable ; il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu. »

Reprenons la définition du catéchisme : L’espérance est la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle, en mettant notre confiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit.

Ce ciel ne nous est pas immédiatement accessible, les anges disent aux apôtres : pourquoi restez-vous là, les yeux fixés vers le ciel ? Sous-entendu comme si vous pouviez y entrer maintenant. Non maintenant il faut obéir à ce que Jésus vous a dit : attendre la venue de la force venue d’en haut, l’Esprit, qui va vous être donné. Donc non pas vivre au ciel mais vivre sur terre avec le don, la force, de l’Esprit en vous, cet Esprit qui lui, vient du ciel.

De plus il ne faut pas penser que la terre puisse devenir le ciel, dès maintenant. Ce n’est pas maintenant que le Christ va rétablir la Royauté d’Israël sur la terre. C’est à dire une véritable transformation du monde. Pour l’heure le monde reste le monde, la terre reste la terre, créée par Dieu, bonne, mais blessée par le mal et le péché, elle n’est pas le ciel. Et le Père seul connaît l’heure où ce monde ci sera définitivement transformé. Ne croyons pas une forme de millénarisme, c’est-à-dire l’idée que, grâce à la bonne volonté des hommes ce monde finirait par être le ciel sur terre. Dieu seul peut sauver le monde.

Là se trouve la distinction entre l’espérance et l’espoir. L’espoir, c’est lorsque nous souhaitons que tout ce que nous pouvons faire se réalise au mieux, de manière à obtenir l’objet de nos efforts. J’ai bon espoir que si je travaille je réussirai mes examens, que si la médecine est performante, je guérirai, que si j’arrive à mobiliser les gens de mon entreprise, nous gagnerons des parts de marché, etc. On peut mettre notre espoir dans de bonnes choses ou dans des moins bonnes. L’espérance elle, ne vise que le bien, car elle conduit à Dieu, mais elle ne prend pas appui sur nos forces. Cela ne veut pas dire que nous n’ayons rien à faire, mais l’espérance concerne un objectif qui est hors de notre portée, de nos capacités humaines. L’espérance est l’ennemi de l’activisme, et c’est probablement pour cela que nous avons souvent du mal à l’exercer. Elle est plutôt du côté de Marie que de Marthe, et nous, nous sommes souvent du côté de Marthe plutôt que de Marie.

Or la fête de l’Ascension nous place devant une réalité que nous pouvons désirer mais non pas acquérir par nous-même. Nous marchions sur le chemin, mais là, au bord de la falaise, le chemin s’arrête. Nous étions arrivés au sommet de la montagne et nous ne pouvons aller plus haut. Nous avions fait tous les efforts possibles, peut-être, mais là, nous n’avons pas la capacité de faire un pas de plus. L’Ascension est le désir de cet horizon qui nous dépasse de toute part. Alors il nous faut apprendre à compter sur Dieu, sur la grâce du Saint-Esprit. Telle est la vertu d’espérance. Une capacité de désirer et une aptitude à laisser Dieu agir en nous par son Esprit, par ses dons.

Durant les 9 jours qui nous séparent de la Pentecôte, demandons chaque jour, pour nous-même et pour les autres, cet Esprit Saint qu’il nous a promis, en pratiquant chaque jour l’espérance : car elle est la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle, en mettant notre confiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit.

Amen !