Chanoines réguliers de Prémontré
26
Avr
S. Ludolphe, évêque de notre Ordre
Écrit par F. François-Marie

Mercredi des cendres – 2 mars 2022

Notre communauté sort d’un temps de retraite, il y a deux semaines à peine, et la prédication en est encore assez fraîche dans ma mémoire. J’ai été frappé par le point de départ d’où le prédicateur a voulu faire commencer sa retraite, et donc notre propre démarche spirituelle : un premier temps de réflexion qu’il nous a invités à prendre, le premier principe en quelque sorte d’une vie de disciple du Christ, qui peut aussi inaugurer ce temps de Carême. Que nous a-t-il proposé ? De « considérer ce que fait Dieu ». Regarder ce que Dieu fait dans nos vies, avec confiance. Je trouve qu’il s’agit d’un point de départ très original au fond, en particulier pour le Carême, l’originalité chrétienne : Dieu a l’initiative, il nous aime le premier. D’où l’importance de repérer d’abord comment Dieu agit dans ma vie. Un point de départ bouleversant, source d’émerveillement. Non pas partir de notre conversion, de l’effort de Carême que nous allons faire, du jeûne, du partage, de la prière que nous allons mettre en œuvre, de nos péchés et de nos défauts qu’il faudrait changer. Même si tout cela est important, indispensable peut-être, mais ce n’est pas la pointe de l’évangile d’aujourd’hui. Non, partir de ce que Dieu fait, pour nous, en nous.

Oui, considérons au début de ce Carême, comment Dieu avec force et sans rien détruire, trouve un passage à travers les méandres de nos cœurs, de nos vies, pour y accomplir son œuvre. Croyons à l’œuvre que Dieu veut réaliser en nous, laissons-le faire, laissons nous guider, sans inquiétude, par l’Esprit Saint, avec une invincible espérance. Dieu est un peu comme le médecin qui, pour soigner, a besoin que l’on ne bouge pas, quitte à nous endormir un peu, si nécessaire, pour opérer. Recherchons donc la paix du cœur. Comment ? On demandait à un Père du désert, abba Poemen, comment nous devions être en communauté (on pourrait l’étendre à notre vie à l’intérieur de l’Église, de la société même). Le vieillard lui dit « celui qui demeure dans la communauté doit regarder tous les frères comme un seul, [c’est-à-dire ne pas établir de différence entre les frères et refuser toute préférence] et garder surtout sa bouche et ses yeux ; ainsi il peut être en repos. »

Si Dieu pouvait agir pleinement avec force et douceur en chacune de nos vies, pour y établir sa paix, comme le monde serait rapidement changé ! Plus de guerre, plus de violence, plus de mensonge ! Mais Dieu n’agit que dans le cœur qui se laisse toucher, façonner, et c’est pour cela que Dieu agit de manière discrète, cachée.

Là se trouve peut-être le sens de l’insistance de Jésus, dans l’évangile aujourd’hui, sur le secret. Le terme revient six fois, comme un refrain. S’il y a bien une parole de Jésus à écouter aujourd’hui, n’est-ce pas celle-là, prononcée trois fois : « ton Père voit dans le secret » ? Le secret a une dimension négative dans notre esprit, qui éveille le soupçon, le doute : une vérité que l’on dissimule, un mal qui ne veut pas se faire voir. On parle parfois des secrets de famille : un drame, une blessure, un mensonge, un « non-dit » qui œuvre de manière sournoise.

Mais il ne s’agit pas de cela ici : l’insistance sur le secret doit nous faire comprendre autre chose et ne pas susciter notre inquiétude. On pourrait mieux traduire d’ailleurs par « ce qui est caché, invisible, ignoré » : caché non parce que ce serait nuisible mais parce qu’il s’agit d’une œuvre qui nous dépasse de toute part par sa grandeur, par l’infinie douceur et la force en même temps, avec laquelle Dieu la réalise en nous et en ce monde.

Cette œuvre de Dieu, nous la connaissons : c’est le mystère pascal. Dieu aussi a agi de manière discrète, cachée, humble. Comme le dit le théologien Hans Urs von Balthasar : « le Père a livré son Fils qui est mort dans le secret, un vendredi, sans fracas, sans que la face du monde en soit avertie, et le Christ est ressuscité dans le silence. Dieu a confié à des pauvres l’annonce de cette nouvelle qui est la plus grande qui soit, dans la force de l’Esprit Saint. Comme la veuve qui jeta son offrande en silence et s’en fut, seule avec son secret d’amour, ainsi le Père nous a livré son Fils dans le secret, silence de l’amour qui ne force jamais. Et c’est à nous, Église faite de pauvres hommes fragiles, que ce trésor est confié pour l’annoncer au monde entier, avec aucune autre force de persuasion que ce mystère du secret et du silence de l’amour véritable. »Oui, notre Père voit dans le secret. Avec confiance, croyons en l’œuvre que Dieu peut accomplir, par nos mains, si nous le laissons agir en nous et dans le monde, tout au long de ce Carême. Ce sera alors notre joie et nous verrons la face de la terre en être renouvelée.