Chanoines réguliers de Prémontré
28
Mars
Jeudi Saint - Messe in Cena Domini
Écrit par f. Gabriel

1er dimanche du Carême – 6 mars 2022

Une des choses qui me fascinent dans le sport, c’est que tous les acteurs sont importants. Ainsi, une excellente équipe de foot sans son meneur de jeu peut être incapable de bien jouer, un redoutable boxeur sans la présence de son coach n’aura peut-être pas les ressources mentales pour gagner le combat, un bon athlète sans son préparateur physique ne pourra pas performer. Chaque acteur est décisif.

Aujourd’hui, nous recevons le récit d’un combat spirituel. Souvent, on relève simplement deux acteurs : Jésus et le diable. Mais Jésus est-il vraiment seul face à l’Adversaire ? Il y a un autre acteur nommé dans l’évangile : l’Esprit Saint. Lien d’amour du Père et du Fils, l’Esprit Saint oriente évidemment toute la vie de Jésus vers le Père, dans l’accomplissement de sa volonté, même si l’évangéliste ne le mentionne pas toujours. Cependant, dans l’évangile de ce jour, saint Luc insiste, de manière explicite, sur la présence de l’Esprit : « après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, Jésus fut conduit à travers le désert ». Les expressions « rempli d’Esprit » et « dans l’Esprit » signifient que ce temps au désert est tout entier porté, contenu, assumé avec et dans l’Esprit Saint. C’est pourquoi, je pense que l’évangile de ce jour n’est pas seulement révélation de nos péchés et de la victoire du Christ sur le mal. Il me semble que ce récit de la tentation au désert est aussi révélation de l’œuvre de l’Esprit Saint dans la vie des baptisés que nous sommes.

Dans ce récit, l’Esprit Saint apparaît comme le Paraclet, ce Défenseur qui vient soutenir le baptisé contre les menaces de l’Adversaire. Ici, il se manifeste précisément en tant que mémoire de la Parole de Dieu, conformément d’ailleurs à la présentation qu’en donne le Christ dans l’évangile selon saint Jean : « Le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit ». L’Esprit Saint est donc mémoire de la foi, mémoire de l’histoire sainte, mémoire du salut, mémoire de la Parole de Dieu, afin que le baptisé reste fidèle à son Père des cieux. La triple mémoire de la Parole de Dieu que fait Jésus dans l’Esprit Saint éloigne le diable.

Ce récit de la tentation de Jésus au désert est révélation de l’œuvre de l’Esprit Saint dans la vie des baptisés que nous sommes. Pour chaque tentation du Christ, je crois qu’on peut ainsi découvrir un aspect particulier de l’action de l’Esprit comme mémoire.  

– « L’homme ne vit pas seulement de pain », répond Jésus au diable qui l’incite à transformer les pierres en pain pour vaincre la faim. C’est la tentation de l’impatience et de la révolte contre une réalité où Dieu semble absent. Cette première tentation est une tentation contre l’espérance. La réponse de Jésus est tirée d’un passage du Deutéronome qui rappelle à Israël son chemin parcouru pendant quarante ans au désert, à la sortie d’Égypte. À l’heure de la tentation, alors que tout paraît aride et vide de Dieu, l’Esprit souffle à notre esprit : « n’oublie pas que le Seigneur t’a libéré de tes chaînes et qu’il veut te conduire en son Royaume, n’oublie pas que ta vocation ne s’arrête pas aux choses de la terre, que tu es fait pour le Ciel ! »

– « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte », répond Jésus à la tentation de mettre sa mission de Messie au service d’une domination sans partage du monde. La foi pure, cette graine de moutarde, semble en effet si faible et fragile, alors que le politique, le rationnel, les muscles, la science, le progrès, le militaire paraissent, eux, si forts. Cette deuxième tentation est une tentation contre la foi. Jésus y oppose encore les paroles du Deutéronome : seul Dieu doit être adoré. À l’heure du doute, alors que nous sommes tentés de nous appuyer sur de faux dieux, l’Esprit souffle à notre esprit : « souviens-toi qu’il n’y a pas d’autre dieu que l’Éternel, le Seigneur ton Dieu : Lui seul triomphe de la mort. » 

– « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu », répond enfin Jésus à la tentation d’utiliser Dieu, de le soumettre à certaines conditions, de le transformer en objet finalement. Cette troisième tentation est une tentation contre la relation d’amour que le baptisé est appelé à nouer avec son Père des cieux. Le verset du Deutéronome que Jésus se remémore est un appel au refus de défier Dieu, de le plier à notre bon vouloir. L’Esprit souffle à notre esprit : « rappelle-toi qu’on ne met pas la main sur Dieu, que le Seigneur veut que tu l’aimes comme un enfant aime son père, comme un ami aime son ami, comme la bien-aimée aime son bien-aimé. »

Aussi, à la lumière de cet évangile qui révèle le triomphe du Christ dans l’Esprit sur les tentations, je vous propose deux pistes pour bien entrer dans ce temps de Carême. La première pourrait être d’invoquer l’Esprit Saint en tout temps et en tout lieu : par exemple, qu’en franchissant chaque porte, qu’en abordant chaque nouvelle activité, un « Viens Esprit Saint » puisse être dit dans le silence de nos cœurs.

Comme l’invocation de l’Esprit n’empêche pas, mais au contraire sollicite davantage notre participation active au travail de Dieu en nous, la deuxième piste pourrait être de nous efforcer de faire mémoire chaque jour d’un passage de la Bible et d’y découvrir notre propre histoire sauvée par le Christ dans l’Esprit.

Chers frères et sœurs, une des choses qui me fascinent dans le sport de la foi, c’est le rôle extraordinaire de l’Esprit Saint en nous ! C’est lui qui, en se faisant notre Défenseur, éclaire nos esprits, les fortifie par la mémoire de la Parole de Dieu et chasse au loin l’ennemi qui nous menace ! Oui, cet acteur est bien décisif.