Chanoines réguliers de Prémontré
24
Avr
Conversion de notre Père saint Augustin
Écrit par F. François-Marie

Jour de Pâques 2021

Ce qui est bon, ce qui est bien et beau dans notre vie, les liens d’amitié, d’amour, de joie et de générosité qui nous façonnent et que nous cherchons à construire, sont-ils destinés à disparaitre avec nous, ou bien ont-ils une valeur inaliénable ? Est-ce que tout meurt avec nous, ou bien y a-t-il en nous quelque chose qui ne peut mourir ? Au fond, c’est à cette question que répond la résurrection.


Mais elle y répond, non par un concept mais par un événement, non par un discours théorique, mais par un récit, non par une explication mais par un témoignage. Et c’est cela qui nous déroute. Remarquez que nous ne sommes pas les premiers ! Marie-Madeleine, Simon-Pierre, l’autre disciple : c’est la panique, ils courent dans tous les sens ! Les évangélistes n’ont pas voulu donner une vision lisse de l’événement pascal, peut-être pour nous faire comprendre que Pâques sort justement de tous les cadres de compréhension qui nous sont spontanés, et en particulier de l’idée selon laquelle la résurrection du Christ serait simplement la fin heureuse d’une histoire qui avait bien commencé, puis mal tourné ! La résurrection est bien autre chose qu’un fait qui ne concernerait que Jésus seul : le retour à la vie pour un héros, finalement récompensé par Dieu de ses bonnes actions ! Quel intérêt cela aurait-il pour nous, si la résurrection ne concernait que Jésus seul ? Aussi, le signe qu’un événement considérable pour l’humanité entière est en train de se produire, c’est peut-être déjà cette bousculade du matin de Pâques, cette stupeur, cette sidération qui passe des uns aux autres, des femmes aux hommes, de Pierre à Jean, de Marie-Madeleine aux apôtres, des apôtres à Thomas, bref, c’est tout un corps qui se met en mouvement, qui s’éveille, le corps de l’Eglise naissante.

Pourquoi donc nous sentir vraiment concernés par ce récit du matin de Pâques ? Une chose est sûre : le mort nous a échappé : « on a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé ». Quand Jésus a redonné vie à Lazare, il a fait rouler la pierre, le mort est sorti, les pieds et les mains liés de bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire, et Jésus a dit : « déliez-le et laissez-le aller. » Spectaculaire sans doute, mais tout était sous contrôle, pour ainsi dire. Or il en va tout autrement ce matin : la pierre a été enlevée, les linges posés à plat, le suaire roulé à part, mais le corps est absent. Le tombeau est vide. Plus et mieux qu’une mise en scène, l’évangéliste nous introduit dans le monde des signes, qui lui sont chers. Qu’est-ce qu’un signe, sinon une réalité sensible qui renvoie à autre chose qu’on ne perçoit pas avec nos sens. Quel est ici le signe ? Le tombeau est vide, ou plus exactement, il ne reste dans le tombeau que l’enveloppe qui retenait et enveloppait le corps de Jésus, les linges, le suaire. Ils attirent l’attention et le regard parce qu’ils ne sont pas laissés n’importe comment, mais le linge bien à plat, le suaire bien roulé. Ce soin sur lequel insiste l’évangéliste nous dit quelque chose, justement : rien ne peut plus contenir Jésus, ni la roche du tombeau et la pierre qui le fermait, ni le linge qui recouvrait son corps. « La mort n’a pas pu retenir le Christ en son pouvoir », dit saint Pierre, le jour de la Pentecôte (Ac 2, 24). Jean, à la vue de ce signe, croit au-delà de la vue, que le Christ est désormais à jamais vivant, ressuscité, et il se souvient des Ecritures qui annonçaient la victoire du Messie sur la mort : « Tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami connaître la corruption », dit le psaume 15 (v. 10). Chacun a son heure pour passer du signe à la foi, c’est-à-dire pour reconnaître à travers les choses sensibles et les pensées que l’on comprend aisément, le mystère auquel elles renvoient. Jean est le premier, Marie-Madeleine va suivre, appelée par son nom, Pierre enfin et les autres apôtres, tandis qu’il faudra à Thomas de voir les marques du crucifié, le côté du transpercé. Nous avons notre rôle à jouer pour annoncer le message de la foi, pour témoigner du Christ ressuscité auprès de ceux qui nous entourent. Mais Dieu respecte la liberté de chacun et si Jean est le plus rapide à croire, Thomas est plus lent. Ne rêvons pas, ni pour nous-mêmes, ni pour les autres, une foi immédiate. Elle est un chemin, un processus, un itinéraire, qui dure toute la vie.

Parce la foi est autre chose qu’une information, qu’un savoir extérieur à nous-même, qu’une leçon de catéchisme bien apprise. Elle est une expérience qui nous touche, parce qu’elle est un événement qui nous concerne. Saint Paul, le premier, l’a dit dans toute sa radicalité. Nous l’avons entendu dans la deuxième lecture, aux Colossiens : vous êtes ressuscités avec le Christ, vous êtes passés par la mort avec le Christ. Croire, c’est reconnaître que la résurrection du Christ nous affecte personnellement, c’est nous laisser rejoindre et toucher par elle. Qu’est-ce que cela veut dire : nous sommes morts avec le Christ, nous sommes ressuscités avec le Christ ? Saint Paul le dit : « notre vieil homme a été crucifié avec le Christ », « nous sommes morts au péché ». Frères et sœurs, voulez-vous faire mourir le péché en vous ? Lors de la vigile pascale, durant la rénovation des promesses baptismales, j’ai posé la question : rejetez-vous le péché ? Et l’assemblée a répondu : Oui, je le rejette ! Cela vaut pour vous également maintenant. Quel est ce péché que nous devons rejeter, chacun ? Ce peut être une haine tenace, un refus de pardonner, une situation de rupture, de division, dont on n’espère plus sortir. Ce peut être une dépendance qui nous enferme en nous-même, qui nous rend esclave. Ce peut être un refus obstiné de croire, un orgueil démesuré, une soif de pouvoir, d’argent, de puissance. Ce peut être un égoïsme profond, que sais-je encore. Pâques, c’est espérer que tout cela puisse mourir en nous, que le vieil homme puisse être englouti dans la mort du Christ. Il faudra probablement du temps pour cela, une vie entière parfois, pour certaines racines profondes du mal. Mais une nouvelle vie est possible, dès à présent.

Car si d’un côté, nous sommes morts au péché, dans le même temps, nous sommes ressuscités avec le Christ. Frères et sœurs, voulez-vous vivre avec le Christ vivant, dès à présent ? Ressuscité, le Christ n’est plus enfermé dans un tombeau ou dans des linges. Cela veut dire qu’il n’est pas limité dans le temps et dans l’espace. Il offre à quiconque s’ouvre à lui, dès aujourd’hui, par la foi, un nouveau monde de relations. Voilà ce que saint Jean commence à découvrir, et à vivre dans la foi, le matin de Pâques. Le tombeau est vide, mais déjà, Jean expérimente dans la foi cette nouvelle plénitude dans l’amour du Père et du Fils, la vie de Dieu en lui, la vie de Dieu dans la communauté de ceux qui croient et mettent en pratique le commandement de l’amour mutuel. En ce temps pascal qui commence, oui, vraiment, cela vaut la peine de chercher le bien, le bon, le beau, de tisser des liens d’amitié, d’amour, de joie, de générosité, entre nous et dans le monde qui nous entoure et qui souffre tant. Car tout cela ne mourra pas. La pierre a été roulée, la lumière s’infiltre dans notre vie. Qu’une vie nouvelle prenne naissance en chacun de nous et apporte au monde son salut. Amen !