Chanoines réguliers de Prémontré
29
Mars
Vendredi Saint - In Passione Domini
Écrit par F. François-Marie

Vigile Pascale 2021

Quand on se rend à Jérusalem, le lieu du tombeau du Christ est recouvert par la basilique du Saint-Sépulcre, si bien qu’il est difficile de s’imaginer le souci qui habitait les saintes femmes ce matin-là. En revanche, il existe à Nazareth un tombeau ancien, avec une belle pierre ronde et volumineuse, qui nous donne une idée du problème qui se posait à elles : « qui nous roulera la pierre, pour dégager l’entrée du tombeau ? »


Jésus est mort, il a été enseveli rapidement, à cause du sabbat qui commençait à poindre, à la tombée de la nuit, deux jours plus tôt. Ces femmes fidèles, qui ont vu Jésus crucifié puis mis au tombeau, viennent avec les parfums qu’elles ont achetés. Parce que les femmes portent la vie en elles, elles sont souvent présentes non seulement à l’origine mais au terme de la vie humaine. Mais elles sont encore à la recherche d’une présence localisée, physique : là où le corps de Jésus a été déposé, c’est là qu’il doit être, derrière la pierre, dans la nuit du tombeau. Or quelle n’est pas leur stupeur, leur sidération, quand elles découvrent qu’il n’y a plus de pierre pour boucher la cavité creusée dans la roche, qu’il n’y a plus de nuit dans le tombeau où pénètre la lumière matinale du jour, qu’il n’y a plus le cadavre gisant et définitivement muet d’un mort à embaumer, mais un jeune homme vêtu de blanc, assis à droite, et qui parle !

Ce jeune homme vêtu de blanc, la tradition y reconnaît le témoignage de l’évangéliste lui-même, saint Marc, qui lors de l’arrestation de Jésus, s’était dérobé, préférant laisser le drap qu’il portait et s’enfuir nu, plutôt que d’être fait prisonnier avec le Christ. Mais au matin de Pâques, ce disciple sauvé par le sacrifice du Christ, est désormais un jeune homme qui a connu une nouvelle naissance, celle de l’eau baptismale, et revêtu d’un vêtement blanc, celui du baptême, il se met à parler et à témoigner du Ressuscité ! La résurrection du Christ est assurément un événement qui nous dépasse tous, et donc que personne n’a vu. Il faudrait être soi-même ressuscité pour le voir. Mais Dieu a donné aux disciples de son Fils de devenir les témoins du Ressuscité pour que se répande dans le monde la bonne nouvelle de Pâques. Ce témoin, ce matin, c’est toi, Matthieu, qui va recevoir le baptême, avec ton fils Mathis.

Arrêtons-nous à ces paroles que dit ce premier témoin du jour de Pâques. Qu’annonce-t-il aux saintes femmes ? Ne soyez pas effrayées ! Jésus lui-même, lorsqu’il apparaît aux disciples, leur dit : « la paix soit avec vous ». La paix est le don par excellence du Christ à jamais vivant. Cette paix, le Christ l’a acquise par sa confiance sans limite envers le Père, qu’il a vécue jusqu’au bout, à travers les épreuves, la souffrance, l’abandon de tous et la mort de la Croix. Tout en connaissant les peines douloureuses de la Passion, Jésus est resté uni à son Père. Il vivait dans la présence du Père. Le Père et moi, nous sommes un, disait Jésus à ses disciples. Personne en ce monde, pas même ses disciples, n’ont compris cela. Mais maintenant, ils découvrent cette relation qui unit Jésus à Dieu son Père. Ce lien mystérieux révèle que Jésus n’est pas seulement un homme mais qu’il est aussi le Fils de Dieu. Et Dieu l’a ressuscité d’entre les morts.

Alors, nous avons à découvrir une autre présence que celle qui fait que quelqu’un est ici ou là, qu’il n’est pas dans tel lieu mais dans tel autre. C’est ce que dit le jeune homme : « vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici ! » Les disciples et chacun de nous avec eux, avons à découvrir une autre présence que celle qu’on perçoit de manière physique, locale, pour ainsi dire. Pour cela, il faut une autre démarche que celle de notre regard sensible et de notre raisonnement strictement matériel. Ce regard qui nous est nécessaire, c’est ce qu’on appelle la foi. La foi nous introduit dans une autre présence, un peu comme lorsqu’un être cher est décédé ou qu’un ami est au loin, nous éprouvons pourtant sa présence. Il est là en nous, dans nos pensées, notre cœur, notre existence. Eh bien, cette expérience n’est qu’une pâle figure de la présence infiniment vivante et aimante que nous avons à connaître avec le Christ ressuscité, dans la foi ! Le jeune homme vêtu de blanc veut mettre les saintes femmes en face de la vraie et définitive présence, celle qui naît de l’intimité et de l’amour, et qui rend, au-delà de toute absence, les êtres intérieurs les uns aux autres.

Les femmes qui viennent au tombeau ce matin-là sont toutes originaires de Galilée. Et paradoxalement, c’est en Galilée que Jésus ressuscité les attend tous ! Pour découvrir Jésus vivant, et sa nouvelle présence, il ne s’agit pas d’aller d’un lieu géographique à un autre, c’est en soi-même, au cœur de notre propre existence, que cette présence toute nouvelle est à découvrir. Cela Matthieu, tu l’as découvert lors des étapes qui t’ont préparé au baptême. Tu as vécu ce qu’on appelle le rite de l’Epheta, ce qui veut dire « ouvre-toi ». Il s’agit d’ouvrir nos sens, notre vue, notre écoute, notre perception, à ce qu’on nomme les sens intérieurs. Il ne s’agit pas d’autres sens suprasensibles, comme certains voulant connaître des sensations limites, qui les sortiraient de la condition humaine normale, mais il s’agit, dans la foi et l’amour, d’ouvrir notre être à une réalité spirituelle qui nous permette de percevoir la présence vivante du Christ à l’intime de notre cœur. Notre monde n’est pas fermé sur lui-même, il est ouvert à Dieu qui l’a créé et veut le sauver.

Ce chemin de la foi est long à accomplir. L’évangile de Marc nous dit que les saintes femmes, ce jour-là, ne dirent rien à personne tant elles avaient peur ! Marie-Madeleine, la première va se laisser saisir. Puis Pierre, puis les autres apôtres, puis Thomas. Tous vont faire cette expérience, chacun à sa manière. Ils vont alors comprendre que le Christ est vivant, non seulement en eux, mais au milieu d’eux, dans l’Eglise, communauté des croyants, qui mettent en pratique le commandement de l’amour fraternel, à la suite du Seigneur. La foi chrétienne n’est pas seulement une affaire individuelle entre Dieu et moi. Dès le début de la vie de l’Eglise, la foi au Christ ressuscité a été vécue comme une transformation personnelle qui conduit d’une part à l’édification d’une communauté de foi, fondée sur la charité, l’Eglise. Et d’autre part, comme un appel à étendre au monde ce règne de Dieu qui le Christ est venu instaurer. C’est-à-dire que, tout en reconnaissant que l’achèvement du monde n’appartient qu’à Dieu, nous pouvons changer quelque chose à ce monde ci pour qu’il devienne meilleur, pour lui donner sens. Inutile de vous dire qu’en ce temps, les chantiers sont immenses : l’éducation, l’hôpital, l’économie, l’écologie, la famille, la politique, l’éthique, aspirent à un renouvellement urgent et indispensable. Le Christ nous y appelle, les jeunes générations nous le réclame. Le baptême que Matthieu va recevoir maintenant est une invitation, pour nous autres, déjà baptisés, à engager notre vie à la suite du Christ, au cœur des défis du monde d’aujourd’hui. Que la résurrection du Christ nous mette aujourd’hui à l’œuvre. Amen !