Chanoines réguliers de Prémontré
25
Avr
S. Marc, évangéliste
Écrit par f. Matthieu

IVè Dimanche du T.O. – 30 janvier 2022

Frères et sœurs nous sommes là ce matin, non seulement parce que c’est dimanche, mais aussi parce que nous nous inscrivons dans cette tradition héritée des juifs qui comme nous le dit l’évangile se rendaient dans leurs synagogues le jour du sabbat. Tout comme eux, nous voulons honorer, louer, magnifier Dieu et écouter sa parole. Je relève simplement un petit détail qui a son importance c’est que dans l’évangile, avant même la fin de la célébration, le prédicateur en l’occurrence Jésus est houspillé si l’on peut dire et traîné hors du sanctuaire tout en étant menacé de mort. Espérons qu’il n’en sera pas de même pour le prédicateur d’aujourd’hui.  

Comme souvent dans l’évangile, nous sommes ici confrontés à un paradoxe car après l’enthousiasme où « tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche », voilà qu’après les hommages, c’est la haine qui prend le dessus « tous devinrent furieux, se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville jusqu’à un escarpement pour le précipiter en bas » : voilà qu’en un seul épisode de l’Évangile nous avons ici un résumé de toute la vie de Jésus, tout au moins les trois années de son ministère public. Nous sommes au début du texte de saint Luc, mais voilà qu’il n’y a presque pas de suspens, la fin est déjà connue». Les foules attendent un Messie politique, temporel, Jésus vient proposer une autre manière de vivre et d’agir. « Celui qui veut gagner sa vie la perdra ».

Quand la foule réagit quant à savoir qui est Jésus « N’est-ce pas là le fils du charpentier ? » Peut-être qu’il y a maldonne entre l’intérêt porté sur la personne et l’intérêt porté sur le message qui émane de la personne. Est-ce qu’il n’y a pas ici une récurrence de comportement des foules à l’annonce des messages.

Lorsque Jésus cite le début du chapitre d’Isaïe « aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre » qui fait référence à ce que nous avons entendu dimanche dernier « l’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction etc… » ce que Jésus annonce c’est ce même message révélé aux prophètes proches de l’exil, c’est cette alliance de l’Horeb, déjà présente depuis la création et qui ne cesse de se rendre présente, autrement dit c’est une alliance de toujours et pour toujours. C’est cet adverbe « aujourd’hui » qui a toute son importance.

Dans l’ancien testament notamment dans le deutéronome, « aujourd’hui » est en quelque sorte la clé de lecture, et l’argument autour duquel se tient tout le discours. Ceci afin de montrer que cette parole qui s’adresse à un peuple installé depuis bien longtemps en terre de Canaan n’est pas une parole du passé, mais une parole du présent. Israël est en train de s’engraisser, de se complaire des fruits de son travail et de sa terre et à juste tendance à oublier, le temps du désert où c’était de la seule bouche et de la main de Dieu que le peuple recevait sa nourriture. Dans l’opulence, l’oubli de l’origine se fait vite, dans l’opulence la gratitude s’absente, dans l’opulence on croit être libéré de la dépendance.

Jésus a lu les commandements du décalogue, cette seconde alliance qui annonce la liberté. Une liberté voulue par Dieu pour sortir son peuple de l’esclavage d’Egypte, que ce même peuple doit pouvoir offrir à chacun de ses membres : en libérant les captifs, en rendant la vue aux aveugles, en remettant en liberté les prisonniers.

L’aujourd’hui de la parole de Dieu en Jésus, cela veut dire qu’en sa personne s’accomplissent toutes les promesses du salut. Mais cet aujourd’hui est-il celui d’hier, un aujourd’hui du passé ou un aujourd’hui qui s’actualise ? En fait c’est un quotidien de la parole de Dieu qui est en jeu. Car chaque jour frères et sœurs, nous avons à accueillir l’aujourd’hui de Dieu. Aussi comment est-ce que je laisse Jésus accomplir aujourd’hui dans ma vie et à travers ma vie sa parole de salut ? Les promesses de Jésus ne sont pas des promesses remises au lendemain, mais des promesses pour maintenant… où en sont nos promesses, pour demain ? Nos engagements ? Pour plus tard ? Avec Jésus c’est pour aujourd’hui et non pas pour demain. Souvenez-vous des mots de saint Paul : « Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut[1] ». Oui, voici maintenant le moment favorable où s’accomplit la Parole de Dieu pour moi.

Mais ce salut, n’est pas un salut réservé, il est un salut pour tous, un salut universel. En faisant mémoire des prophètes Elie et Elisée et des personnes auxquels ils ont été envoyés : la veuve de Sarepta et le général syrien Naaman, ce sont des figures d’étrangers qui sont mis en avant. Deux personnages non-juifs, mais qui ont bénéficiés de la grâce de Dieu, sauvés l’une de la famine, le second de la lèpre, une veuve pauvre et un richissime homme de pouvoir. Trois frontières sont abolies, la frontière religieuse, la frontière géographique, la frontière des catégories sociales.

Si Jésus en prenant ces exemples démontre que tout le monde est concerné par le salut, il vient par ailleurs pointer ce qui est nécessaire pour accueillir ce temps favorable, ce temps du salut, cet aujourd’hui de la grâce de Dieu. Deux choses nous manquent : la gratuité et le dénuement. La veuve de Sarepta accepte de mettre en jeu sans contrepartie tout ce qui lui reste pour vivre là où Naaman devra quitter non seulement son pays, mais aussi son orgueil pour se plonger dans le Jourdain. Plus dur encore Elisée refuse les cadeaux que le lépreux désormais purifié veut lui offrir pour sa guérison.

L’évangile d’aujourd’hui nous provoque en quelque sorte en nous invitant à laisser le Seigneur agir dans notre quotidien « afin que nous ayons la vie en abondance [2]». Tout comme pour les gens de la synagogue de Nazareth le Christ nous rejoint aujourd’hui, au cœur même de notre existence, ne le chassons pas «hors de notre ville».


[1] 2 Co 6, 1-2

[2] Jn 10,10