Écrit par f. Hugues

IVe Dimanche de Pâques – 25 avril 2021

« Mercenaire » : selon la culture de chacun, ce mot évoque divers souvenirs ou actualités :

  • « Mercenaires » comme les condottieri italiens de la Renaissance ou comme les consultants de cabinets américains…
  • « Mercenaires » comme « Les Reîtres » de la Légende des Siècles de Victor Hugo ou comme l’« Agence tous risques » (« c’est vraiment la dernière chance au dernier moment » disait le générique).

« Mercenaire » en est venu à désigner surtout des soldats sans attaches, surtout des hommes sans scrupules … ; mais ce n’est pas vraiment ainsi que Jésus emploie ce terme, pour désigner le genre d’hommes dont lui, Jésus, se distingue, et dont, nous, chrétiens, devons nous distinguer.

Le mercenaire de l’évangile (en grec misthôtos), ce qu’on peut aussi traduire « journalier », « tâcheron », ou « intérimaire », c’est en effet un homme sans attache ni envers son maître/son patron, ni envers sa mission/son travail ; un homme qui se définit par son salaire, par la récompense attendue.

  1. « Le berger mercenaire n’est pas le pasteur » dit le Christ, car le « mercenaire » c’est tout d’abord l’homme sans maître stable, sans patron déterminé, l’homme qui s’embauche pour le plus offrant.

Le Christ n’est donc pas un mercenaire, car Lui n’a qu’un seul maître, qu’un seul Père auquel il obéit : « Ma nourriture c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 4, 34).

C’est ce maître unique, son Père, qui lui a confié ces brebis, comme à un berger : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi » (Jn 17, 24).

Comme le Christ, comme chrétiens, nous ne devons pas non plus être des mercenaires, passant de maître à maître ; nous sommes appelés à nous attacher à un seul maître : « vous n’avez qu’un seul maître, le Christ » (Mt 23, 10).

Cela paraît évident, mais nous savons bien qu’en pratique notre désir s’attache souvent à d’autres maîtres bien inférieurs : le maître-argent, le maître-pouvoir, le maître-plaisir, et tant d’autres maîtres dont nous sommes parfois les mercenaires.

2. « Le berger mercenaire n’est pas le pasteur » dit le Christ, car le « mercenaire » c’est également l’homme sans mission stable, qui n’est pas vraiment attaché à ce qui lui est confié.

Le Christ n’est donc pas un mercenaire, car lui est profondément attaché à ceux qui lui sont confiés : « Moi, je suis le bon pasteur […] et je donne ma vie pour mes brebis » (Jn 10, 15)

Comme le Christ, comme chrétiens, nous ne devons pas non plus être des mercenaires, indifférents aux frères qui nous sont confiés, car la mission que Dieu nous confie, au fond, derrière toutes nos activités, tâches, c’est bien d’aimer notre prochain. Et comme le dit saint Augustin, aimer, c’est aussi ne pas s’enfuir quand rode le loup, quand notre prochain est dévoré par ses limites, ses péchés ; ne pas être mercenaire, c’est alors ne pas négliger la correction fraternelle :

« Le mercenaire n’ose pas reprendre librement celui qui pèche, de peur de perdre ce qu’il poursuit, les avantages de l’amitié humaine ; il se tait et ne corrige pas celui qui se perd ». […] Le chrétien qui se tait, le mercenaire, « répondra peut-être : Mais je suis ici, je n’ai pas pris la fuite. Si, tu as pris la fuite parce que tu as gardé le silence. Tu as gardé le silence, parce que tu as eu peur[1] ».

Si Notre Père saint Augustin insiste tant sur la correction fraternelle (ici comme ailleurs), c’est certes qu’il était mal entouré…mais aussi qu’il savait à quel point il nous est difficile de dire à notre prochain qu’il s’égare, de lui parler en vérité pour l’aider. Mais si nous ne le faisons pas, nous sommes des mercenaires.

3. « Le berger mercenaire n’est pas le pasteur » dit le Christ : car le « mercenaire » c’est enfin l’homme qui travaille pour un salaire, une récompense.

Le Christ n’est donc pas un mercenaire, car Lui s’est donné sans rien attendre en retour ; il suffit de contempler le Croix pour voir ce qu’il a reçu comme salaire : « voici ce cœur qui a tant aimé les hommes … et pour reconnaissance il ne reçoit de la plupart que des ingratitudes » disait le Christ en montrant son Sacré-Cœur. Ce n’est pas tant une plainte de Jésus, qu’une invitation à vivre une telle gratuité de l’amour, conscients comme l’avait dit Jésus (et c’est le seule parole de Jésus non rapportée par les évangiles) qu’ « il y a plus de joie à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35).

Comme le Christ, comme chrétiens, nous ne devons pas non plus être des mercenaires, attendant une récompense permanente pour leurs actions, refusant de vivre une vraie gratuité. Aider sans attendre de reconnaissance, servir sans recevoir de remerciements, aimer sans être aimé en retour, nous savons à quel point cela nous est difficile, mais devinons à quel point aussi cela manifeste un vrai amour, libre et gratuit. Ne pas attendre de récompense ni des autres, ni même de Dieu en ce monde, c’est souvent au-delà de nos forces, c’est donc une grâce à demander.

Dans quelques instants, dans l’eucharistie, nous allons recevoir celui que se donne gratuitement, sans mérites de notre part :

  • que cette communion nous accorde de ne pas être de ces mercenaires qui passent de maître en maître, mais de toujours remettre Dieu au centre de notre vie ;
  • que cette communion nous donne la force de ne pas être indifférents à notre prochain, surtout quand il s’égare ;
  • que cette communion nous donne la grâce d’aimer Dieu et nos prochains, toujours plus gratuitement, en attendant le jour où face à Dieu nous recevrons notre seule récompense : Dieu lui-même.

[1]. Augustin d’Hippone, 46e Homélie sur Jean, § 8.