IIIe Dimanche de Pâques – 18 avril 2021
Comme ils en parlaient encore, lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Imaginez la scène. Cléophas et son compagnon, les deux disciples d’Emmaüs, arrivent dans le Cénacle. Ils ont tellement couru qu’ils ne sentent plus leurs jambes. Ils sont essoufflés, la sueur qui coule de leurs tempes brille à la lumière des chandelles qui éclairent la pièce. La poussière qu’ils ont soulevé dans leur course folle volète à chaque mouvement qu’ils font. Ils ont du mal à parler, recherchant leur souffle. Mais la nouvelle qu’ils annoncent est trop importante. Alors, oubliant leur fatigue, ils parlent, parlent et parlent encore. Les deux hommes se coupent la parole, chacun veut raconter ce qui s’est passé dans cette auberge où ils ont invité l’homme inconnu. Ils disent ce qu’ils ont vu : la fraction du pain. Ils disent ce qu’ils ont compris : Jésus est ressuscité. Ils disent ce qu’ils ont ressenti : un cœur tout brûlant à l’écoute de l’Écriture.
Imaginez encore. Les disciples d’Emmaüs racontent et témoignent, les femmes qui s’étaient rendu au tombeau le matin du même jour prennent aussi la parole : le Seigneur est vivant ! Voyez-vous l’effervescence dans l’assemblée. Sans doute les disciples d’Emmaüs relatent-ils les échanges sur le chemin, lorsque l’homme inconnu leur ouvrait le cœur à l’intelligence des Écritures : « ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans la gloire » (Lc 24, 26). Tout ce qui se passe était déjà annoncé. D’ailleurs, les femmes qui s’étaient rendu au tombeau vide s’étaient vu entendre dire la même chose par les anges : « Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite » (Lc 24, 7).
Imaginez toujours… Les apôtres écoutent, interdits. Leurs têtes vont de droite à gauche. C’est à celui qui témoignera le plus fort. Parmi les apôtres, certains sourient. Ils sourient car ils ont fait la même expérience. Ce matin, ils n’avaient pas cru le témoignage des femmes. Mais ce soir, c’est différent. Le témoignage de Cléophas et de son compagnon confirment leur acte de foi, car ils ont fait eux aussi cette expérience du Ressuscité : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre » (Lc 24, 34), disent-ils.
L’Église, ici, est rassemblée. Les disciples du Christ, ici, sont réunis. Ils parlent du Ressuscité, ils témoignent de ce qu’ils ont vécu avec Lui. Alors, tout d’un coup, Il est là, présent, avec eux, devant eux. Et il s’adresse à eux : « la Paix soit avec vous ! ». Il est là, vraiment là, réellement là. Ils le voient ; ils n’osent pas le toucher malgré l’invitation qui leur est faite ; ils le regardent manger du poisson. Il est réellement là, il est réellement présent, il est réellement ressuscité. Alors il leur parle. Comme les anges aux femmes ce matin-là au tombeau, comme l’inconnu du chemin à Cléophas et son compagnon cet après-midi-là, alors que le soir est désormais arrivé et que l’Église naissante est ici rassemblée autour des apôtres, le Ressuscité « ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. Il leur dit : ‘Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem’ » (Lc 24, 45-47).
Sur le chemin d’Emmaüs, les deux disciples se sont laissé abreuver des Écritures puis nourrir du pain rompu. Alors ils ont reconnu, à cette Parole proclamée et à cette fraction du pain, que le Christ vivant était là, avec eux. Ils ne l’avaient pas reconnu. Pourtant, il était là, réellement là. Ce que saint Jean écrira dans son beau langage poétique au début de son Évangile, Cléophas et son compagnon en ont fait l’expérience : « le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire » (Jn 1, 14). Quand la Parole est proclamée, quand le pain est partagé en mémoire de Lui, alors Il est là, réellement là. Et ce même soir, l’expérience est différente, mais la présence du Ressuscité n’en est pas moins réelle. Ce soir-là, l’Église naissante réunie autour des Apôtres fait l’expérience concrète de ce que saint Matthieu annonce dans son Évangile : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, avait dit Jésus, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18, 20). Quand l’Église est rassemblée au nom du Christ, quand la Parole est proclamée dans le cœur de l’assemblée, alors Il est là, réellement là.
Chers frères et sœurs, avons-nous vraiment conscience qu’il en est de même pour nous aujourd’hui ? Croyons-nous que le Christ soit présent, ici, avec nous ? Il se rendra substantiellement présent par le pain rompu et distribué tout à l’heure. Mais il est là. Regardez votre voisin. Jetant un regard par-dessus cet autel et à travers cette croix, regardez le chrétien qui est en face. Y voyez-vous le visage du Christ ? Il sera encensé tout à l’heure, comme vous. Parce que nous sommes le corps du Christ. Le livre de la Parole a été encensé avant l’Évangile. Parce que le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Le pain et le vin consacrés seront encensés tout à l’heure. Parce qu’ils seront alors substantiellement le Ressuscité réellement présent. Renouvelons l’expérience du Cénacle aujourd’hui. Recevant la même Parole proclamée, communiant au même pain rompu, faisons l’expérience de la présence du Ressuscité dans le cœur de l’Église. Et nous en serons les témoins, de Jérusalem aux extrémités de la terre.