Chanoines réguliers de Prémontré
26
Avr
S. Ludolphe, évêque de notre Ordre
Écrit par F. François-Marie

Funérailles de frère Augustin – Vendredi 16 avril 2021

Frère Augustin s’en est allé vers le Père, par un matin ensoleillé de printemps, paisiblement. Il s’émerveillait encore, il y a quelques jours, avec son âme de poète, devant le cerisier fleuri du jardin du cloître, de la nature qui reprend vit en cette période de l’année.


La lumière du jour naissant, qui en ce temps de Pâques, avive en nous l’espérance chrétienne, est venue illuminer pour toujours notre frère, alors que la maladie avait jeté une ombre grandissante, ces dernières années, sur son esprit, à l’intelligence pourtant fine. Au fond il était déjà un peu parti et les relations s’en trouvaient altérées. La mort l’inquiétait et il y pensait souvent. Il avait confié à un des frères de sa génération les textes bibliques qu’il aimerait bien que nous écoutions, le jour de ses funérailles. L’évangile qui vient d’être proclamé en fait partie. L’appel de Lévi, avec cette parole de Jésus « Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs ». Frère Augustin avait pris le parti des publicains et des pécheurs plutôt que celui des pharisiens et des scribes, dans ses engagements sociaux et ecclésiaux. Mais l’Evangile n’est pas une histoire de lutte des classes, et il a peu à peu compris qu’il ne s’agissait pas seulement de se ranger d’un côté ou de l’autre, parce qu’au regard de sa propre vie, de certains de ses actes, il avait lui aussi besoin de cette miséricorde divine. Et s’il avait une préférence pour le récit de l’appel de Lévi propre à saint Luc, cela tenait aux mots de Jésus que nous rapporte cet évangéliste : « Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent ». Ce « pour qu’ils se convertissent », frère Augustin en avait acquis une conscience personnelle plus vive, car il savait qu’il avait besoin, lui le premier, de ce pardon du Seigneur. La conversion est d’ailleurs le premier de nos vœux religieux, celui qui nous demande chaque jour de nous remettre un peu en question individuellement.

L’expérience forte de cet Evangile qui est assurément celle de la table nous permet de comprendre cela. Parce qu’il s’agit surtout d’une table commune, d’une table ouverte. Le repas est bien davantage qu’un temps d’alimentation nécessaire à la subsistance, et en la longue période que nous vivons actuellement où des restrictions sévères nous sont imposées dans ce domaine, il est important de réaliser la gravité de ce dont nous sommes privés et la force symbolique du repas qu’offre Lévi dans sa maison. La table commune est le symbole de la vie commune. Avec qui j’accepte donc vraiment de vivre ? Le Christ a voulu élargir d’une manière considérable cette communauté. Il n’a pas appelé à table que des médecins, si grande que soit l’estime et l’importance que certains leur portent. Les apôtres, les disciples ne sont pas un groupe de médecins chargés de soigner une foule de malades, ce serait une manière bien prétentieuse et orgueilleuse de se situer vis-à-vis des autres, mais il a appelé les malades à sa table. Comprenons-donc que la condition pour annoncer vraiment le Christ aux autres, c’est de se reconnaître d’abord soi-même pécheur ayant besoin de la miséricorde, malade ayant besoin du Christ Médecin.

A sa manière, frère Augustin a essayé de mettre en pratique cet évangile. Il l’a fait tout d’abord dans la vie religieuse où il s’était engagé, ici à Mondaye, en 1957. La 1ère lecture que nous avons entendue est celle de la messe du jour où frère Augustin est décédé. L’idéal de la première communauté chrétienne : « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ; et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun. ». Saint Augustin a fait de ce passage des Actes le centre de sa règle et notre vocation de chanoines réguliers trouve là un de ses fondements. Vie commune, table commune, communauté de vie. Pour cela il faut apprendre à se respecter les uns les autres, à se pardonner les uns aux autres. A ce sujet, fr Augustin racontait une anecdote. Quand il était simplement un hôte en train de regarder notre vie, et se posant la question d’entrer chez nous, il était venu pour un séjour. Et il fut témoin d’une violente altercation entre deux frères. Il était impressionné. Mais le soir même ou le lendemain, il a vu ces mêmes deux frères parler ensemble sereinement. Il était rassuré. Il y a du pardon possible, se dit-il, je peux entrer dans cette communauté. 64 ans après, nous en sommes toujours là, dans ce même combat. La règle de saint Augustin est sans détour sur le sujet. Sans réconciliation, il n’y a pas d’avenir. Mais avec la grâce de Dieu, cette réconciliation est possible, si nous le voulons bien.

Mais comme chanoines réguliers, comme prémontrés, la communion que nous avons à vivre ne concerne pas seulement les frères qui ont fait profession de vie commune. Elle s’étend plus largement à ceux vers qui nous sommes envoyés. Dans son ministère de prêtre, frère Augustin a croisé bien des gens, en paroisse, dans son cher mouvement du CMR, s’intéressant à ce certaines personnes devenaient. Il a aussi été sensible à la diversité des moyens pour entrer en relation avec d’autres. Il mit son tempérament d’artiste au service de ce projet, comme lorsqu’il a monté un atelier de théâtre pour la jeunesse. Certains se souviennent encore avec émotion avoir joué l’Ours, d’Anton Tchekhov, une comédie russe pleine d’humour et de rebondissement. Ce fut aussi un de nos chantres musiciens, avec sa voix un peu charmeuse, heureux de préparer des veillées musicales et sensible à l’artiste qui sommeille parfois encore chez de jeunes talents. De bien des manières, il était désireux d’établir cette communion, cette table commune qu’il appréciait d’autant plus qu’il avait plutôt bon appétit !

Et nous voici maintenant rassemblés autour de la table eucharistique, où le Christ s’offre lui-même en sacrifice d’action de grâce au Père. Demandons au Seigneur qu’il accueille dans son pardon et sa miséricorde notre frère Augustin, et nous qui demeurons encore en chemin sur cette terre, puissions-nous poursuivre notre route dans l’espérance, avec la Vierge Marie, Notre-Dame, que frère Augustin priait très régulièrement, en récitant chaque jour le chapelet, sous les voûtes des bas-côtés de cette église, traînant un peu plus les pieds au fil des ans, soufflant et toussant davantage aussi, mais toujours fidèle à cette Mère, à qui nous le confions aujourd’hui. Amen !