Chanoines réguliers de Prémontré
25
Avr
S. Marc, évangéliste
Écrit par F. François-Marie

Epiphanie du Seigneur – 2 janvier 2022

Ils se prosternèrent devant lui. A trois reprises, dans cet Evangile, il en est question : dans la bouche des mages, et d’Hérode lui-même. Il s’agit d’une attitude caractéristique des cours royales, dans le monde ancien. « Proskuneô » en grec. C’est le geste concret d’envoyer un baiser avec sa main, en s’inclinant : attitude typique du Proche-Orient. Je voudrais m’arrêter d’abord sur le sens que ce verbe a pris progressivement dans le Nouveau Testament, celui de l’adoration du Christ. Ensuite, je dirai un mot de la dimension attirante, exemplaire, de ce geste. Enfin, j’évoquerai deux conditions pour que l’adoration soit une prière vraiment chrétienne.

Commençons par le Nouveau Testament. Saint Marc n’emploie que deux fois le verbe, et plutôt dans un sens dérisoire : le possédé gérasénien voyant Jésus venir à lui, se précipite et se prosterne, mais précisément, c’est un possédé. Les soldats romains lors de la Passion, se prosternent devant Jésus qu’ils ont déguisé en roi, pour se moquer de lui. Ailleurs dans l’Evangile, le verbe prend un sens plus positif, pour signifier d’abord le respect et la supplication : le lépreux se prosterne devant Jésus ou le chef de la synagogue se prosterne devant le Christ, le suppliant pour sa fille qui est morte. Mais un sens plus explicitement religieux se trouve aussi, par exemple lors de latentation au désert : Satan dit en effet à Jésus : « toutes ces richesses t’appartiendront si tu te prosternes à mes pieds » et Jésus réplique « devant Dieu seul tu te prosterneras ».  Le verbe devient peu à peu une manière d’affirmer la divinité du Christ :Après la marche sur les eaux, les disciples dans la barque se prosternent devant Jésus en lui disant « vraiment tu es le fils de Dieu ». Lors desapparitions de Jésus ressuscité, les saintes femmes, puisles onze, se prosternent devant lui. Le verbe prend finalement le sens de l’adoration comme dans la rencontre de Jésus avec la Samaritaine : « où faut-il adorer ? ». Il semble donc que le Nouveau Testament ait d’abord pris de la distance par rapport à un culte excessif rendu à l’empereur, au roi, dont on tend à diviniser et absolutiser la personne elle-même, attitude typiquement païenne, d’hier et d’aujourd’hui. Le Nouveau Testament a donc ensuite donné à ce terme une valeur unique, celle de la dévotion rendue au Christ lui-même comme à Dieu. Il s’agit donc de prier, d’adorer Jésus, parce que nous croyons qu’il est le Fils unique de Dieu. Saint Jean, dans l’Apocalypse, va clairement dans ce sens, en adorant l’Agneau. L’attitude des mages nous oriente donc vers la prière d’adoration.

Dans un second temps nous pouvons dire, il me semble, que l’adoration elle-même des mages nous attire. Tombant à ses pieds ils se prosternèrent devant lui. Il y a là une action qui marque ce moment particulier, un geste de tout le corps, une profonde humilité, le besoin de manifester dans son corps qu’on est en présence d’un être qui nous dépasse. Ici, notons l’importance du témoignage. Les disciples ont vu aussi Jésus prier, et c’est en le voyant prier qu’ils lui ont demandé : « Seigneur, apprends-nous à prier ». Les disciples ont dû être fascinés par cette prière de Jésus, par son visage, ses gestes, l’attitude de tout son corps, ils ont dû percevoir quelque chose de la relation intime entre Jésus et le Père.

Je crois qu’un enfant, s’il voit son père prier, se mettre à genoux, se recueillir, faire silence, au pied de la croix, d’une icône, du Saint-Sacrement, après la communion, oui un enfant qui voit son père prier, s’en souviendra toute sa vie. Cela restera gravé en lui. Laissez voir, à certains moments, cette relation de cœur à cœur avec Dieu, que vous essayez de vivre dans la foi et l’amour, dans la prière. Ce n’est pas se donner en spectacle. Un enfant qui voit son père à genoux apprend par ce qu’il voit, mieux que par bien des discours, que son père lui-même n’est pas tout, mais qu’il est lui aussi tourné vers Dieu, qu’il est lui-même enfant du Père. Et c’est essentiel.

Mais bien sûr, il ne s’agit pas d’un simple geste extérieur. Il me semble qu’il y a des conditions pour que la prière d’adoration soit vraiment chrétienne. J’en vois au moins deux, que je voudrais évoquer, dans le dernier temps de mon propos.

La première condition est la place accordée à  la Parole de Dieu. « Au commencement était le Verbe », avons-nous entendu durant ce temps de Noël. Le Dieu chrétien est un Dieu qui se fait connaître, qui s’adresse à nous, une Parole vraie, pleine de sens. C’est dans sa Parole que Dieu nous parle, c’est dans l’Evangile que nous pouvons rencontrer le Christ, la Parole faite chair. Comment écouter Dieu sans écouter la Parole de Dieu ? Comment adorer Dieu si nous ne nous mettons pas à son écoute pour le servir ? Or nous vivons à l’ère l’information et de la connexion continues, qui nous donnent l’illusion de la nouveauté permanente, à côté de laquelle la Parole de Dieu peut nous paraître fade, répétitive, surtout quand il s’agit de certains évangiles qu’on croit connaître par cœur. En vérité, c’est tout l’inverse : c’est l’information en continue qui est elle-même très répétitive : on vous parle tous les jours de la 5e, 6e , 7e vague d’épidémie ; on vous parle régulièrement d’une nouvelle connexion plus performante 5G, 6G, 7G, etc. Mais l’Evangile lui, si on se met à son école chaque jour, nous découvre toujours du neuf parce qu’il s’agit d’une parole vivante qui vient nous rencontrer dans notre vie aujourd’hui, qui n’est ni celle d’hier ni celle demain.Essayez chaque jour de lire l’Evangile du jour ou un commentaire qui est donné, dans tous les bons livrets mensuels ou les appli ad hoc. Quelques minutes chaque jour peuvent suffire, 7-8 min.

La seconde condition, c’est de prendre le temps de relire sa journée en présence du Seigneur : ne pas se coucher comme des bêtes, mais, avant d’être complètement épuisé, se placer sous le regard du Seigneur.  Comment ? En commençant par l’action de grâce d’abord : remercier Dieu pour telle ou telle chose, telle ou telle rencontre, mais plus fondamentalement peut-être pour la vie donnée, pour sa présence, pour sa Providence. Vivre dans la reconnaissance, la gratitude. Autrement, on méprise le don de Dieu et on s’appuie sur ses propres forces. Ensuite, parce qu’il n’y a pas de vie sans épreuves, sans difficulté, sans combats : abandonner à Dieu cette journée vécue, dans la confiance. Et enfin seulement s’interroger : comment ai-je correspondu ou pas à ce don de Dieu, à l’appel de Dieu, à ce qu’il attend de moi ? Dans mes relations, dans mon comportement, dans mon attention à sa présence. Ici, il n’y a pas de place pour la culpabilisation, qui n’est que la grimace du péché, mais simplement s’ouvrir à la vérité dans l’amour, demandant à Dieu que demain soit meilleur qu’hier, lui demandant comment je dois agir et me comporter pour cela. Le tout n’a pas besoin d’un temps énorme là non plus : 7-8 minutes aussi.

Si vous m’avez suivi, cela fait 7-8 min matin et soir, allez, environ un quart d’heure par jour. Il y a 96 quarts d’heure dans une journée. M’arrêter, 1% du temps de ma journée, pour adorer. Ce temps, si précieux, ne serait-il pas l’or, l’encens ou la myrrhe, que je déciderai d’offrir à Dieu, en me prosternant devant lui, chaque jour de cette année qui commence ?