Écrit par f. Gabriel

Solennité de la Mère de Dieu – 1er janvier 2022

« En 2022, espérons qu’on retrouvera la vie d’avant… » C’est la dernière rengaine dans les salons de coiffure ! Cette expression peut prêter à rire, mais elle est bien compréhensible, légitime même, en temps de fortes restrictions sociales. Quoi de plus normal que d’aspirer à une vie sociale, sans masque et sans pass, où on peut trinquer au comptoir avec les copains après une journée de travail en présentiel. Cela étant, ce désir d’un retour à la vie d’avant peut s’avérer problématique, voire dangereux, quand il est mis à toutes les sauces (politique, économie, religion…) et, surtout, quand il devient une obsession dans les esprits. Ainsi, le quadragénaire en crise fait une bêtise lorsqu’il tente de retrouver la vie d’avant ses 30 ans ; la personne souffrant du vieillissement s’enferme dans la complainte parce qu’elle croit pouvoir un jour retrouver sa vie d’avant ; le jeune professionnel reste longtemps immature quand il demeure nostalgique de sa vie d’avant ; le religieux en proie à l’acédie passe à côté de son chemin de sainteté s’il attend pour être heureux que sa communauté retrouve la vie conventuelle fantasmée au noviciat ; le catholique, nostalgique d’une certaine période historique, s’illusionne lorsqu’il ne perçoit absolument pas les pauvretés de « l’Église d’avant », ou les faiblesses théologiques de « la liturgie d’avant »…

Vouloir « retrouver la vie d’avant », c’est en fait une pente glissante vers une forme d’idolâtrie. Dans la Bible, tout désir absolutisé, idéalisé, extériorisé, auquel on se soumet, qui conduit à un repli sur soi, est une idole. La Loi et les Prophètes ont justement pour vocation de débusquer et de déraciner les idoles, et notamment celle de « la vie d’avant », parce que toute idole détourne du Dieu unique. Le Christ Jésus met aussi en garde contre la tentation de « retrouver la vie d’avant » : « celui qui regarde en arrière ne peut pas être mon disciple », « on ne met pas de vin nouveau dans de vieilles outres ». À son tour, saint Paul écrira : « il faut courir sans regarder en arrière ». « Regarder en arrière », ce n’est rien d’autre que se décourager de la vie présente et manquer d’espérance. « Regarder en arrière », c’est aussi chercher un autre bonheur que celui qui s’offre à nous, ici et maintenant. « Regarder en arrière », c’est finalement être triste de l’appel que Dieu nous adresse, c’est douter de sa proximité, de son amour qui nous devance, c’est manquer de foi.

En l’An 626, Constantinople est privée de son empereur et de ses armées partis guerroyer contre les Perses. Alors que la ville était assiégée par les armées arabes et musulmanes et qu’il y avait bien des raisons de regarder en arrière, de regretter le temps où l’empire romain d’Orient était au faîte de sa puissance, le patriarche et le peuple de Constantinople chantèrent une hymne à la Mère de Dieu, toute la nuit, sans s’asseoir. On l’appela l’hymne acathiste. L’Acathiste comprend entre autres soixante-douze actions de grâce, pleines d’émerveillement et de louanges, introduites par un « Réjouis-toi ». Miraculeusement, Byzance fut sauvée. Mais, surtout, la joie et l’espérance de cette hymne font résolument barrage à toute forme d’idolâtrie de « la vie d’avant » :

Réjouis-toi en qui resplendit la joie du salut

Réjouis-toi en qui Adam est relevé de sa chute

Réjouis-toi en qui Ève est libérée de ses larmes

En chantant la Mère de Dieu, cette hymne merveilleuse célèbre le mystère de l’incarnation. Cet événement inouï fonde le croyant dans une ferme espérance en un avenir radieux dans la foi. C’est bien l’Incarnation du Verbe de Dieu qui fait tomber l’idole de « la vie d’avant » :

Réjouis-toi Etoile qui annonce le Lever du Soleil

Réjouis-toi Mère de l’Astre sans déclin

Réjouis-toi Figure qui resplendit de la Résurrection du Seigneur

Face à l’abîme qui sépare la nature divine de la nature humaine, Dieu a jeté un pont, qui est son propre Fils, le Grand-Prêtre, littéralement « celui qui fait le pont » (pontifex). Désormais, la distance entre la nature humaine et la nature divine est comblée par le Fils de Dieu lui-même. Dès lors, pourquoi regarder en arrière si un pont divin est à présent toujours dressé en avant de nous pour aller sur le chemin de la vraie béatitude, au-dessus des eaux la mort :  

Réjouis-toi Échelle en qui Dieu descend sur la terre

Réjouis-toi Pont qui unit la terre et le ciel

Réjouis-toi Vaisseau choisi où vient à nous Celui qui surpasse les Chérubins

Dieu s’est fait homme pour que l’homme participe à la vie divine, pour qu’il devienne lui-même Dieu par participation. Cette perspective de la divinisation ne fait pas du chrétien un passéiste ! En effet, à partir du moment où on se laisse saisir par le Christ, demain sera nécessairement plus beau qu’hier. Nous sommes toutefois appelés à la « conversion », autrement dit à un certain « retournement ». Se convertir, c’est commencer. Antoine le Grand, Patriarche et Père de tous les moines, le disait de manière lapidaire : « Chaque matin je me dis : aujourd’hui je commence. » La conversion n’est pas un retour à un avant plus saint ; la conversion est une affaire d’aujourd’hui humblement dans la grâce de Dieu.

Alors, chers frères et sœurs, en 2022, je vous souhaite de commencer. Je vous souhaite d’accueillir notre Tradition. La Tradition n’est pas la vie d’avant, la Tradition est une personne : le Verbe de Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, Celui qui fait toutes choses nouvelles, l’Alpha et l’Omega – le Commencement et le Terme de toute chose.

Sainte Marie, Mère de Dieu, Notre-Dame des commencements, prie pour nous. Réjouis-toi tu démasques le piège des idoles.