Écrit par f. Gabriel

9 octobre 2022 – XXVIIIè dimanche du T.O

Il y a des textes de la Parole de Dieu pour lesquels nous ne prenons plus le temps de la méditation et de la prière, parce que nous pensons déjà connaître leur message par cœur. Ainsi l’Évangile que nous venons d’entendre : on l’écoute d’une oreille distraite, on le lit rapidement en diagonal, parce que son message nous paraît clair et bien connu : c’est évidemment une invitation à la gratitude, à l’action de grâce. Notre catéchiste nous le disait déjà quand nous étions petits et on le retrouve dans les petits livres sur la gratitude qui se vendent très bien à la librairie. Oui, mais est-ce vraiment tout ce que cet Évangile peut nous dire ? Je pense, pour ma part, que l’Évangile de ce jour nous parle d’abord de la foi, avant d’appeler évidemment à la gratitude. En quoi parle-t-il de la foi ? Qu’est-ce qu’il nous dit sur la foi ?

Les dix lépreux « crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous » ». Dans les évangiles, quasiment chaque fois qu’une personne s’adresse à Jésus en recourant à ce titre de « maître », cette personne manifeste en même temps une foi défaillante, voire une absence de foi.

Ainsi, les disciples dans la tempête crient à Jésus : « maître, maître, nous périssons » (Luc 8, 24) ; les pharisiens disent à Jésus : « maître, reprends tes disciples » (Luc 19, 39), etc. En reprenant toutes les fois où Jésus est directement appelé « maître », j’ai constaté que ceux qui appellent ainsi Jésus ne saisissent pas véritablement, à ce moment-là, qui est le Christ, Verbe de Dieu fait chair ; au fond, ils n’ont pas encore intégré que Jésus n’est pas un maître comme les maîtres de ce monde, qu’il est le maître tout-puissant et indépassable, dont l’amour ne passera pas. C’est visiblement le cas des dix lépreux. Pour interpeler Jésus, ils utilisent d’ailleurs un mot bien particulier, car il y a plusieurs termes grecs qu’on peut traduire par « maître » en français. En l’occurrence, il s’agit d’un terme très rare dans le Nouveau Testament – ἐπιστάτης – qu’on peut traduire par « président », « directeur » ou « chef ». Les lépreux s’adressent donc à Jésus comme à un maître de ce monde. Peut-être pour lui montrer un certain respect en vue d’obtenir quelque chose de lui, car rien ne va plus pour eux et qui ne tente rien n’a rien ! Ils n’ont pas vu que, si Jésus préside, c’est d’une manière exceptionnelle, en s’abaissant pour se mettre à notre hauteur, pour nouer un lien d’amour éternel par son sacrifice.

Nous comprenons dès lors pourquoi la guérison n’est pas instantanée. Le miracle est en effet délibérément repoussé par Jésus jusqu’au moment où les dix lépreux prennent la route. C’est un miracle à distance, qui teste la confiance des lépreux. Ce n’est qu’une fois que l’ordre de Jésus a été exécuté que les lépreux sont purifiés, sur la route. Dieu fait ainsi dans nos vies. Il ne répond pas toujours immédiatement à nos prières, il nous oblige à cheminer un peu, avant de nous exaucer, pour que notre foi grandisse. Cela étant, dans neuf cas sur dix, notre foi ne grandit pas… Le don de Dieu se heurte alors à notre liberté, comme chez les lépreux.

Finalement, le samaritain est le seul à être non seulement guéri physiquement mais à être également sauvé spirituellement. Il est le seul dont la foi ait grandi en chemin. C’est une chose d’être guéri par Jésus ; c’en est une autre de voir dans cette guérison un gage de l’action salvatrice de Dieu à l’œuvre en Jésus, et de répondre avec foi. Dans le changement visible de sa peau, le samaritain a vu l’œuvre invisible de Dieu. Quant aux neuf autres lépreux, si leur attitude est sûrement quelque peu impolie, crasse ou ingrate, le problème est surtout qu’ils n’aient pas reconnu l’œuvre invisible de la puissance divine en Jésus. Ils sont peut-être bien allés se montrer aux prêtres, mais ce n’était alors que du ritualisme ; ce n’était pas de la foi, parce qu’il n’y a pas de foi véritable sans relation vivante au Père par notre Seigneur Jésus-Christ, l’unique Médiateur. Seul le lépreux samaritain a fait ce mouvement de « retournement », de conversion, propre à la foi. Le fait qu’il revienne sur ses pas pour venir se jeter aux pieds de Jésus est l’expression symbolique de son retournement intérieur. Les lépreux juifs, eux, en sont restés au ritualisme et ont continué leur vie avec toute sa pesanteur ; Jésus n’est resté pour eux qu’un maître de ce monde, avec qui la relation n’est pas absolument vitale et cause de toute joie.

Et nous, frères et sœurs ? Quelle est notre foi ? Savons-nous reconnaître chaque jour, alors que nous sommes en chemin, l’action de Dieu dans nos vies ? Notre relation à Dieu repose-t-elle uniquement sur des rites extérieurs ? Quand nous nous sentons asséchés, c’est généralement le signe que nous sommes incapables de nous arrêter et de nous retourner pour donner du temps, de la place et de la valeur dans nos vies à une relation vivante au Christ, une relation qui ne s’arrête pas à quelques rites accomplis machinalement.

Sans ce retournement, la foi ne saurait exister. Et parce que notre pesanteur nous entraîne toujours à tracer notre route sans nous retourner – à l’image des neufs lépreux qui ne retournent pas à Jésus après leur guérison –, nous devons chaque jour prendre le temps de la relecture de vie, pour découvrir Dieu qui est sans cesse à l’œuvre en nous, y compris dans les événements les plus ordinaires. Une adolescente que nous connaissons écrivait un soir, dans son carnet, une action de grâce à Dieu qui avait profité de la perte de son téléphone portable pour la détacher du matériel. Voilà la foi du Samaritain. Voilà la foi sans laquelle l’action de grâce à tout instant n’est que du volontarisme.