Chanoines réguliers de Prémontré
16
Mars
Écrit par f. Norbert

9 mars 2025 – Ier dimanche de Carême

En quelque sorte, nous vivons dans le carême ce que nous venons d’entendre que Jésus a vécu lui-même. C’est d’ailleurs ce que nous avons chanté tout à l’heure : « Seigneur avec toi, nous irons au désert. » Comme Jésus, nous sommes à l’écart pour quarante jours ; comme Jésus nous sommes éprouvés pendant quarante jours. Le récit des tentations de Jésus au désert nous donne une clé pour vivre un bon et saint carême.

Pour découvrir cette clé – la clé d’or –, observons la manière dont Jésus s’engage dans le combat contre les trois tentations que le diable lui oppose. Notons d’ores et déjà que ce n’est pas pendant sa retraite au désert que Jésus est exposé à cette triple tentation, mais à la fin de celle-ci, et la résistance qu’il y oppose montre que sa retraite a été efficace. Considérons donc le mode de résistance que Jésus fait sien : à trois reprises, il contre la tentation en citant l’Écriture sainte, en se référant plus précisément au livre du Deutéronome : « L’homme ne vit pas seulement de pain » (Dt 8,3), « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte » (Dt 6,13), « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu » (Dt 6,16). Ainsi, la citation de la Torah scande cet évangile à la manière d’un refrain. Jésus s’inscrit dans la droite ligne des Écritures, il se les approprie, il les parle. Et cette référence est efficace : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé » (Lc 4,13).

Toutefois, la clé en question n’est pas un passe-partout. Il ne suffit pas de se référer aux Écritures saintes, à cette Parole dont Paul rappelait aux Romains qu’elle était « tout près de [nous], elle est dans [notre] bouche et dans [notre] cœur. » Non, il ne suffit pas de s’y référer, car le diable le fait également. L’énoncé de la troisième tentation reprend en effet le Psaume 91 : « Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder », « ils te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre » (Ps 91,11-12). Le diable aussi connaît l’Écriture : le mal se cache parfois sous l’apparence du bien, et il existe une foi des démons (c’est le titre d’un ouvrage de Fabrice Hadjadj). Cette foi des démons, Luc l’exprime quelques versets après le passage de l’évangile que nous avons entendu : « (…) des démons sortaient (…) en criant : « C’est toi [Jésus] le Fils de Dieu ! » » (Lc 4,41). La connaissance de l’Écriture et la référence à celle-ci sont donc partagées et par Jésus et par le diable, de sorte que, pour nous, les cartes sont brouillées : comment discerner le vrai du faux ?

Voici la clé d’or qui nous est donnée. La juste compréhension des Écritures, et donc leur usage approprié, n’est possible que dans la lumière de l’Esprit. Lc 4,1 insistait doublement sur ce point : « Jésus, rempli d’Esprit saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert. » C’est seulement si nous quémandons l’Esprit du Père et du Fils que nous pourrons lire adéquatement les promesses de l’Écriture, c’est seulement si nous quémandons l’Esprit du Père et du Fils que nous pourrons nous tourner justement vers le Père, source de tout bien, et que nous pourrons dire avec la première lecture : « Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères. Il a entendu notre voix, il a vu que nous étions dans la misère, la peine et l’oppression. Le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte – entendez le mal, le péché – à main forte et à bras étendu. » La clé qui ouvre, qui déverrouille et qui sauve est donc celle-ci : demandons l’éclairage de l’Esprit saint, qui nous donne de savoir ce qui est bon, de rejeter ce qui est mauvais, de résister à la tentation. Oui, implorons le Père de nous donner l’Esprit qui a accompagné son Fils au désert et lui a donné de résister aux tentations diaboliques à la fin de ses quarante jours de retraite. Implorons-le de nous soutenir dans notre propre carême, de résister nous-mêmes aux tentations, et de participer à la victoire du Sauveur vers laquelle nous tournons déjà le regard.

Dieu notre Père,

Répands sur nous ton Esprit, pour que nous apprécions ce qui est juste ;

Répands sur nous ton Esprit, pour que nous comprenions ta Parole ;

Répands sur nous ton Esprit, pour que nous sachions résister aux tentations ;

Répands sur nous ton Esprit, pour que nous vivions un saint carême ;

Répands sur nous ton Esprit, pour que nous apercevions la lumière de Pâques,

dont l’éclat ne faiblit jamais.