7 mai 2023 – Vè dimanche de Pâques
En ce temps de Pâques, nous célébrons la folie de l’amour de Dieu pour nous. Aujourd’hui, celui qui n’a pas été reçu par les siens (Jn 1, 11) promet : « je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi ». Celui qui n’a pas eu de place dans la salle commune de Bethléem annonce : « je pars vous préparer une place ». Celui qui a choisi la dernière place nous offre largement la première : « dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ». Oui, cette parole apparemment anodine – « je pars vous préparer une place » – dit un amour sans mesure, une inhabitation divine qui n’est pas uniquement pour un temps à venir mais qui est déjà là. Dès aujourd’hui nous pouvons demeurer là-haut, en Dieu. Prendre conscience de cette place en Dieu doit nous pousser à vouloir tenir notre place de baptisé ici-bas, sans attendre. Voilà ce que j’aimerais vous dire ce matin.
Les versets de l’évangile selon saint Jean que nous venons d’entendre n’ont pas pour ambition d’évoquer l’échéance, ni les modalités, du retour du Christ en gloire : ils expriment la promesse d’une communion infrangible entre le Christ et les croyants. Le départ de Jésus avait plongé les disciples dans la détresse et la peur ; l’Évangile de ce jour révèle alors combien le départ du Christ est en fait une bonne nouvelle. Jésus veut montrer que son départ est l’événement qui fait entrer notre monde d’ici-bas dans la sphère divine. Le jour de la préparation de la fête de la Pâque, notre Sauveur est parti pour préparer notre propre pâque. Désormais, puisque la préparation de nombreuses demeures dans la maison du Père est allée à son terme, il n’y a plus qu’à prendre place. La place de chacun en Dieu est prête. Par sa mort, le Christ a créé les conditions d’une relation indestructible et perpétuelle entre le Père et nous, par lui. Folie d’amour de Dieu !
C’est pourquoi, la croix est aujourd’hui présentée comme un départ ouvrant un nouveau chemin au disciple : « celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais ». Pourquoi serions-nous en mesure de faire ici-bas les œuvres du Fils, si ce n’est parce que nous sommes dès à présent auprès du Fils, qui est dans le Père et en qui le Père demeure pour y faire ses propres œuvres ? Si le Christ assure que celui qui croit en lui fera des œuvres plus grandes que les siennes, cela signifie bien que nous pouvons habiter dans la maison du Père, sans attendre notre propre départ de ce monde. Folie d’amour de Dieu !
C’est pourquoi, saint Pierre exhorte les disciples à entrer « comme pierres vivantes dans la construction de la demeure spirituelle ». Nous sommes les pierres agrégées à la construction de l’Église : nous nous animons mutuellement, nous avons besoin les uns des autres. Chacun a son importance, doit tenir sa place : chaque baptisé est utile, a un rôle à jouer. Si on retire une des pierres d’une croisée d’ogives au-dessus de nos têtes, la voûte s’effondre ! Les pierres laissées de côté ne servent à rien pour l’édifice : elles sont mortes. La conscience que chaque baptisé est une pierre vivante de la demeure de Dieu a animé la vie de la première communauté chrétienne de Jérusalem : Apôtres, veuves, frères au service de la Parole, frères au service des tables, tous avaient leur place, avons-nous lu dans la première lecture. Dans cette perspective, le saint cardinal J. H. Newman écrivait : « Dieu […] m’a confié une tâche précise, qu’il n’a confiée à aucun autre. […] D’une certaine façon, je suis nécessaire à la réalisation de ses desseins, aussi nécessaire à ma place qu’un archange à la sienne. […] Je ferai du bien, je ferai son œuvre, je serai, à la place que j’occupe, un ange de paix et un témoin de la vérité, sans même chercher à l’être, pourvu que je garde ses commandements et serve selon ma vocation[1]. »
Ai-je conscience que je suis une pierre vivante de la demeure édifiée par Jésus-Christ ? Avons-nous bien entendu que de nombreuses demeures sont prêtes pour nous dans la maison du Père ? Et, portés par la folie d’amour de Dieu, prendrons-nous alors la place qui est la nôtre ici-bas ? L’insuffisance de la prière, le manque d’intégrité qui fait de notre vie un habile mensonge, ou encore le manque de discipline dans notre vie courante (notamment en ce qui concerne la nourriture, les boissons, les écrans, l’exercice physique et le sommeil) sont bien souvent ce qui nous empêche le plus de tenir notre place de baptisé. Alors, par notre prière fervente, prenons la voie du Christ-Chemin ; en faisant la lumière sur nos vies, accueillons le Christ-Vérité ; par notre discipline, ouvrons-nous Christ qui est la Vie. Il est là dans sa Parole. Il sera là dans le pain. « Il viendra lui-même pour vous […], pour vous qu’il a connu avant que les mondes eussent été créés par lui, pour vous à qui il a pensé dans son agonie, pour vous sur qui […] il a posé sa main invisiblement mais sûrement[2] » au jour de votre baptême. Il viendra pour une rencontre infiniment intime, pénétrante, transformante, afin que chacun soit une pierre vivante de la demeure de Dieu. Approchons-nous donc du festin des noces de l’Agneau, allons à la rencontre de l’Époux, prenons place à sa table.
[1] Meditations and Devotions of the late Cardinal NEWMAN, Londres et New-York, Longman, Green and Co, p. 301.
[2] Louis Bouyer, Venez, car tout est prêt, Paris, Ad Solem, p. 18.