Chanoines réguliers de Prémontré
16
Mars
Écrit par f. Norbert

Vème dimanche du temps ordinaire – Année C

            En méditant ce passage de l’Évangile selon saint Luc, je me suis demandé pourquoi saint Pierre était touché au plus profond de lui-même par cette pêche miraculeuse, et pas par les paroles qu’il avait entendues auparavant de Jésus ? Je suppose donc qu’il y a eu un processus. Je propose que nous le découvrions ensemble. Je me demande aussi ce que l’appel de saint Pierre à suivre Jésus peut nous apprendre sur la vocation, sur la manière dont Dieu nous appelle aujourd’hui.

            Ce passage de l’Évangile est très bucolique, comme souvent chez saint Luc. Nous imaginons sans peine la foule massée autour de Jésus au point qu’il est écrasé. Nous voyons le lac au petit matin et les pêcheurs en train de nettoyer leurs filets. Enfin, il y a les barques simplement posées sur le bord de l’eau. Il y a tout d’abord une distance entre les pêcheurs et la foule. Ils semblent se rejoindre par accident. La foule aurait pu se réunir ailleurs, mais elle est là et les pêcheurs sont à proximité. Lorsque Jésus monte dans la barque, une jonction s’opère. Les pêcheurs, Pierre en particulier devient acteur. Jésus a besoin de lui pour éloigner la barque du rivage. C’est un fait bien connu que la surface de l’eau calme porte le son. Jésus s’éloigne donc un peu du rivage pour pouvoir enseigner aisément les foules. Saint Pierre est donc là dans la barque, auditeur et spectateur.

            Pour saint Pierre, Jésus rompt son quotidien. Il a dû abandonner son occupation du moment –nettoyer les filets- pour diriger la barque à la demande de Jésus. Pierre se met donc au service de Jésus, dans une dimension de gratuité, à la manière de l’hospitalité telle que pratiquée dans la Bible. Par exemple, Abraham avait reçu ainsi les trois anges de Dieu, interrompant des activités pour les servir.

            Le basculement du récit s’opère au moment où Jésus demande à saint Pierre de jeter les filets. Jésus transgresse alors son rôle social. Pierre est le pêcheur et il sait que Jésus ne l’est pas. En disant à saint Pierre de jeter le filet, il le commande dans son domaine où il est très compétent. La réponse de saint Pierre contient une nuance de reproche qui reflète cette tension entre Jésus et saint Pierre : Il a péché toute la nuit. En effet, on ne pêche pas de jour comme Jésus le demande. Cela sous-entend aussi que Saint Pierre est épuisé par des heures de travail. La réponse de saint Pierre dit aussi une détresse : malgré le dévouement des pêcheurs, ils sont rentrés bredouilles, rendant cette nuit et ce travail inutile, vain. Néanmoins, peut-être par politesse, peut-être par fascination pour Jésus, il accepte de jeter une nouvelle fois le filet, sans nier la demande de Jésus : après tout pourquoi pas ? Par cette action, nous devinons que saint Pierre est capable d’accueillir son prochain et de se laisser toucher par lui.

            L’énorme quantité de poisson marque le bouleversement du monde de saint Pierre. Jusqu’alors, il était resté spectateur de la prédication de Jésus. Maintenant il est acteur d’un évènement incroyable et c’est la foule qui est spectatrice. Que voit la foule ? Un pêcheur qui tire beaucoup de poisson de l’eau. N’est-ce pas une chose bien ordinaire ? Que voit saint Pierre ? Un miracle ! En effet, les poissons ne viennent pas si proche de la surface à cette heure du jour. Ils ne s’approchent pas du bord de la côte, où la pêche est plus facile. Il est donc impossible de pêcher une telle abondance de poissons à cette endroit, à cette heure-là, en ce lieu-là. Pierre le sait, mais pas la foule. Ce savoir le bouleverse au plus profond de lui-même. Jésus a accompli un miracle que saint Pierre reconnaît aisément grâce à son métier de pêcheur. Jésus est, aux yeux de saint Pierre, très puissant, un prophète, un ange, le messie. Saint Pierre est saisi d’effroi par la différence entre lui et cet homme. Et Jésus l’invite à le suivre par des mots prenant en compte le métier de saint Pierre : « Je ferai de toi un pêcheur d’homme ». Pierre répond aussitôt sans un mot, par l’acte même de tout quitter. Pierre ne l’aurait pas fait lors de l’arrivée de Jésus sur la plage, mais maintenant c’est aussi évident que de respirer.

            Jésus a su touché le cœur et la raison de saint Pierre par ce miracle. Ce miracle a eu un sens pour saint Pierre et ses compagnons, alors qu’il n’en avait pas ou peu pour la foule assemblée sur cette même plage. Saint Pierre a été rejoint dans son quotidien par Jésus. Ce miracle a été un signe qui a parlé à Pierre. Par ce signe, il a compris que Jésus était grand, habité de la puissance de Dieu.

            Dieu nous appelle comme Jésus l’a fait avec saint Pierre. Nous entendons les paroles des prêtres à l’église, nous lisons la Bible, mais c’est quand Jésus nous fait un signe dans notre vie ; c’est quand il parle à notre cœur que nous sommes vraiment guidés vers lui. La vocation, comme appelle particulier du Christ résonne donc de manière unique dans notre vie. Comme chacune de nos vies sont uniques, Dieu nous appelle en utilisant ce qui a du sens dans notre vie, comme la pêche pour saint Pierre et ses compagnons. Plus encore, l’appel de Dieu n’apparaît pas comme une rupture dans la vie de saint Pierre, mais comme une continuité. Il a été pêcheur de poisson, il continuera de l’être, mais son savoir et sa personne pêchera maintenant des hommes pour les amener à Dieu.

            Dieu nous appelle tous, imitons donc saint Pierre en acceptant de répondre à son invitation quand elle se présente dans notre vie : oui, sur ta parole je suis prêt à agir.

                                                                                                                      frère Julien