Chanoines réguliers de Prémontré
25
Avr
S. Marc, évangéliste
Écrit par

4è dimanche de l’Avent – 19 décembre 2021

Deux femmes se saluent. L’une est vieillissante, l’autre toute jeune encore ; à elles deux elles résument toute l’histoire du salut. Derrière les rides d’Élisabeth se profilent de longs siècles d’annonce, d’attente, de préparation. Le rayonnement de Marie, sans tache ni ride, annonce l’Église de Jésus. Au-delà de leur espérance comblée, leur maternité les engage tout entières dans le plan de Dieu car leurs deux enfants sont des enfants de l’impossible : la stérilité d’Élisabeth, la virginité de Marie. Cependant, toutes deux témoignent dans leur chair que rien n’est impossible à Dieu.

Le récit évangélique de la Visitation décrit donc une étape charnière de l’histoire du Salut : rencontre entre Jésus, Verbe de Dieu, entrant dans l’humanité, et Jean, le dernier et le plus grand des prophètes. Mystère de la rencontre… Dieu vient à la rencontre de l’homme, par l’homme, dans l’homme.

« Marie se mit en route rapidement »… Rien n’attend, quand Dieu visite son peuple. La hâte de Marie à rejoindre sa cousine Élisabeth n’évoque pas la promptitude de son départ ou la rapidité du voyage, mais, comme toujours dans la Bible, une disposition intérieure qui fait agir avec ferveur et zèle.

Lorsque les deux femmes se saluèrent, la voix de Marie résonna certainement d’une manière toute particulière aux oreilles d’Élisabeth frappée par la joie, la paix et la grâce qui rayonnaient sur le visage de sa jeune cousine. Dès le premier instant – et saint Luc insiste sur ce point – Élisabeth a perçu qu’elle était en présence d’un grand mystère, que Marie portait en elle le Salut, que sa joyeuse salutation annonçait la présence divine. Jean, pas encore le Baptiste, a littéralement bondi dans le sein de sa mère. Le face à face des deux mères ne faisant que transcrire la rencontre invisible des deux enfants. Jésus revêt sa mère de sa dignité de reine ; Jean éveille sa mère à l’accueil du mystère des œuvres de Dieu.

Ainsi se réalisait la prophétie de l’ange à Zacharie son père : « Il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère ». Sous l’inspiration du même Esprit Saint, les paroles d’Élisabeth vibrèrent intensément, d’un enthousiasme sacré. « Bénie es-tu… » : C’est à cause de son Fils et de sa foi en la Parole de Dieu que la Vierge se trouve élevée à un tel degré de béatitude, qui suscite joie et émerveillement chez celle qu’elle visite. Le discours d’Élisabeth culmine avec le titre de « Mère de mon Seigneur » dont elle pare prophétiquement Marie. Parce qu’elle a reçu la Parole de Dieu dans une humble et totale obéissance, le Salut de Dieu a pu déployer en elle toute sa puissance. En ces instants, l’Esprit Saint est, de façon  manifeste, pleinement à l’œuvre. Il permet, dans la rencontre de ces deux mères, la reconnaissance mutuelle de la Parole de la grâce et de son prophète. Dans la mouvance de l’Esprit Saint, Élisabeth peut ainsi bénir Marie plus qu’elle-même, et l’enfant de Marie, plus que le sien propre.

Au-delà de la visite que fait Marie à Élisabeth, il y a  donc la visite de Dieu. Ces deux femmes sont des figures de l’humanité qui accueille Dieu. En effet toute notre vie dépend de cet accueil. La gratitude des deux femmes représente la reconnaissance de tous ceux qui, depuis les débuts de la Bible, ont vécu l’histoire de la venue de Dieu vers l’homme.

La rencontre des deux mères manifeste aussi le surgissement de la foi comme une béatitude. « Et heureuse celle qui ayant cru… » Reconnaissant Marie pour ce qu’elle est au plus profond d’elle-même, du même coup la Mère de Jean donne à la foi austère de l’Annonciation de s’épanouir en joie missionnaire. Celle qui fut la seule à dire « oui » à la Parole de la grâce et à porter sur la route du pays de Juda le poids de l’espérance du monde, découvre, dans le partage spirituel d’une même foi, l’allégresse du Magnificat. La foi permet de reconnaître les visites que Dieu nous fait, surtout quand elles viennent des plus humbles.

En Dieu, la vie, la volonté, l’action, ne sont qu’un. Dès lors, conformer notre volonté à la sienne, vivre en lui obéissant, est la seule manière de nous unir personnellement à lui, de redevenir tel qu’il nous a voulus et créés : à son image. L’obéissance à Dieu n’est donc pas une simple vertu morale, mais la voix royale vers la sainteté par laquelle notre existence même est transformée, divinisée. Cette union à Dieu est la vocation de tout homme, de toute femme venant en ce monde. Mais, quel que soit notre degré d’intimité avec Dieu, un abîme demeure entre lui et nous, sa créature. Et ce n’est que dans la personne du Christ que la volonté divine et la volonté humaine se trouvent indissolublement unies. Voilà pourquoi Dieu vient jusqu’à nous en son Fils Jésus. Il ne vient pas de façon imagée, mais bien réellement le jour de Noël. Et c’est ce que signifie, sans ambiguïté, le tressaillement profond éprouvé par Élisabeth au jour de la Visitation.

Tout s’accomplira selon la promesse : le Christ est venu, il vient, et il viendra. Il est venu dans l’humilité, il vient dans l’intimité et par cette Eucharistie, il viendra dans l’immense clarté de sa gloire. Mais parce que la foi est difficile, parce que l’espérance retombe très vite dans notre cœur, Marie, aujourd’hui, vient nous visiter de la part de Dieu, pour nous redire : « Tu ne sais pas combien le Seigneur est proche ! » À nous maintenant de savoir nous étonner de ce que Dieu fait. À nous de redire avec la surprise d’Élisabeth : « D’où me vient ce bonheur que vienne jusqu’à moi la Mère de mon Seigneur ? ».

« Au milieu de tant de merveilles, de tant de miracles, je ne vois que Jésus qui n’agit pas, que Jésus dans le silence. Les mères s’abaissent et prophétisent ; Jean tressaille ; il n’y a que Jésus qui paraît sans action, et c’est Jésus qui est l’âme de tout ce mystère. Il ne fait aucune démonstration de sa présence : lui, le Moteur invisible de toutes choses, paraît immobile; il se tient dans le secret, lui qui développe et découvre tout ce qui est caché et enveloppé. Comme dit le Prophète :  » Vraiment tu es un Dieu qui se cache, Dieu d’Israël, Sauveur ! «  » (Is, 45, 15)

(Bossuet : Entretien familier pour la fête de la Visitation de la Sainte Vierge.)