Écrit par f. Norbert

4 septembre 2022 – XXIIIè dimanche du T.O

La Parole de Dieu, que nous recevons en ce dimanche, est rude. Elle nous heurte durement. « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple », dit Jésus. « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple », ajoute-t-il. « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple », conclut-il. 

Ainsi donc, le chrétien devrait quitter sa famille ? Celui qui se réclame du Christ devrait n’avoir rien en propre ? L’horizon de Capucine, qui sera baptisée dans quelques instants, est-il de porter une lourde croix tous les jours de sa vie ? Être chrétien, est-ce être condamné à ployer sous le poids d’un fardeau trop lourd pour nous ? Serait-ce porter un barda écrasant du matin au soir ? 

En réalité, chers frères et sœurs, il n’en est pas ainsi. C’est même exactement le contraire : le chrétien, celui qui est baptisé, plongé, dans la mort et la résurrection du Christ, est allégé du fardeau du péché, il est mis debout, il reçoit la promesse de la vie éternelle. Il ne ploie pas, il est redressé. On ne lui demande pas de tout abandonner, on lui donne tout : on efface sa dette (le péché), on lui donne un trésor (l’adoption filiale). C’est le sens de ce que Paul écrit à Philémon au sujet d’Onésime, dans la deuxième lecture. Cette lettre est trop peu connue, je vous en rappelle les circonstances : Paul est en prison, Philémon vient à son aide en lui envoyant un esclave, nommé Onésime, pour l’assister au quotidien dans ses épreuves. Seulement Paul est Paul, il prêche à tout va, il annonce l’Évangile en toutes circonstances, et voici que, dans ce cachot, Onésime est touché par la prédication de Paul. Dans la ténèbre du cachot, Onésime est ébloui par la lumière du Christ. Il demande le baptême, et Paul s’exécute, il lui confère le sacrement de baptême, il fait d’Onésime un nouveau chrétien. Ce qui est intéressant, ce n’est pas l’amont du baptême, c’est-à-dire ce qui se passe avant qu’Onésime ne soit baptisé, et d’ailleurs Paul n’en dit rien. Ce qui compte, c’est l’aval du baptême, c’en sont les conséquences : Paul dit à Philémon que l’esclave qu’il a gentiment mis à sa disposition est désormais baptisé, désormais chrétien, et qu’il n’est plus esclave. Là est l’affirmation la plus forte de la lettre que Paul écrit à Philémon : le chrétien ne peut pas être esclave ; le chrétien est forcément libéré de toutes ses chaînes, affranchi de tous ses liens, humains et spirituels. Le chrétien n’appartient plus à personne, le chrétien appartient au Christ. Et au Christ seul. 

Et c’est pour cela, c’est parce que le chrétien est au Christ, parce qu’il est du Christ, parce qu’il est libéré de tout ce qui l’asservit, que Jésus énonce ces paroles rudes, qui nous heurtent : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à tout le monde, il ne peut pas être mon disciple » ; « celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple » ; « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple ». Baptisé, le chrétien est pleinement uni au Christ, pleinement associé au Christ, il est rendu solidaire de sa vie, de sa mort et de sa résurrection. Baptisé, le chrétien est fils dans le Fils : il est configuré au Christ, le Christ devient le tout de sa vie. Vivre la vie chrétienne, c’est vivre une longue aventure, toute simple en réalité, c’est faire le choix, répété chaque jour que Dieu fait, d’assumer et de répondre à cette union au Christ commencée au jour de notre baptême. Vivre la vie chrétienne, c’est nous souvenir que nous avons été affranchis de tous nos liens et préférer le Christ à tous nos liens affectifs. Vivre la vie chrétienne, c’est décider de porter la croix du Christ, qui devient notre croix tant nous sommes unis à lui. Voilà ce qui va s’ouvrir d’ici quelques instants pour Capucine, avec le soutien de ses parents, qui la présentent au baptême, de son parrain et de sa marraine. Votre tâche est essentielle : Capucine entre aujourd’hui dans la foi de l’Église, dans laquelle elle est plongée, mais vous devrez l’aider à en répondre par toute sa vie. Pour cette mission, vous pouvez compter sur notre prière. Bon courage !

Je voudrais encore dire un mot, car certains s’interrogent peut-être sur la possibilité de cette mission, sur la soutenabilité de cet horizon de la vie chrétienne : est-ce seulement possible de préférer le Christ à tout tous les jours ? Est-ce seulement à notre portée de porter la croix tous les jours ? Est-ce seulement dans nos cordes de tout abandonner pour n’être qu’à lui ? Vous auriez raison de poser ces questions. En scrutant la Parole de Dieu de ce dimanche, il y a une réponse dans la première lecture, au livre de la Sagesse. « Qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? » Au baptême, frères et sœurs, nous recevons l’Esprit saint. Cela signifie que Dieu nous donne la force de le choisir, de le préférer, de porter notre croix, de marcher à la suite du Christ, pour en être un bon disciple. 

La Parole de Dieu de ce dimanche est donc rude, elle nous travaille, nous polit et nous façonne, comme la mer travaille, polit et façonne les galets de nos côtes. Comme pour ces pierres, par le ressac de la Parole de Dieu proclamée, entendue et méditée, les arrêtes tranchantes et coupantes deviennent douces et s’arrondissent. La Parole est rude, elle nous travaille, certes, mais elle n’est pas sans nous rappeler que nous avons tout reçu, même la capacité de répondre à son appel, qui nous précède toujours.