Écrit par F. François-Marie

28 août 2022 – Solennité de notre Père saint Augustin

La liturgie de la Parole propose, en première lecture, pour faire mémoire aujourd’hui de saint Augustin notre Père, un texte magnifique, que nous entendons rarement : ce beau passage du livre de Ben Sira le Sage décrivant le grand prêtre entouré de son peuple, avec ses fils, tenant en mains l’offrande du Seigneur devant toute l’assemblée d’Israël. Ce texte exalte la beauté du grand prêtre dans son office. Qu’il était glorieux ! Et toute la création dans sa splendeur se joint à l’offrande : les astres du ciel : l’étoile du matin, la lune, le soleil, l’arc-en-ciel, mais aussi les plantes de la terre : la rose, le lys, les jeunes pousses du Liban, l’olivier, le cyprès, les palmiers.

Un texte bien digne de la beauté des écrits de saint Augustin et de leur poésie, en particulier dans le livre des Confessions. Le rythme et l’harmonie du style d’Augustin y est au service de la louange de Dieu et de la description de son propre itinéraire spirituel. Bien des traducteurs ont tenté, les uns après les autres, d’en proposer une version qui nous parle, en langue française, avec un succès variable. De nombreux essais contemporains sont le signe de l’actualité de saint Augustin.

Mais j’apprécie encore une des traductions les plus célèbres, plus ancienne, celle de Robert Arnaud d’Andilly, un des solitaires de Port-Royal, qu’il édita au milieu du Grand Siècle, en 1649. Le passage bien connu du livre X des Confessions, au chapitre 27, en particulier : « Que j’ai commencé tard à vous aimer, ô beauté si ancienne et si nouvelle ! que j’ai commencé tard à vous aimer ! Vous étiez au-dedans de moi ; mais, hélas ! j’étais moi-même au-dehors de moi-même. C’était en ce dehors que je vous cherchais. Je courais avec ardeur après ces beautés périssables qui ne sont que les ouvrages et les ombres de la vôtre, cependant que je faisais périr misérablement toute la beauté de mon âme, et que je la rendais par mes désordres toute monstrueuse et toute difforme. Vous étiez avec moi, mais je n’étais pas avec vous. Car ces beautés qui ne seraient point du tout si elles n’étaient en vous, m’éloignaient de vous.

Comme vous le voyez, ce n’est pas seulement le texte d’Augustin qui est beau, mais Augustin désigne lui-même Dieu comme beauté. Beauté qu’est Dieu, beauté de l’âme qui se tourne vers Dieu, beauté des créatures qui reçoivent leur être de Dieu. Mais laideur de l’âme qui se détourne de Dieu et ne reconnaît pas que la beauté des créatures leur vient de Dieu.

Saint Augustin est par excellence le chantre de la beauté de Dieu. Or qui est celui qui nous révèle la véritable beauté, si ce n’est le Christ ?  N’est-il pas le  « plus beau des enfants des hommes » dont parle le Ps 44, au verset 3 ? Comme le dit la lettre aux Hébreux, il est « resplendissement de la gloire du Père » (He 1, 3) et saint Paul parle du Christ comme l’« image du Dieu invisible » (Col 1, 15). Il est donc en ce monde la source de toute beauté et il donne à l’ensemble de la création son véritable éclat, dont il est lui-même l’origine. Et cependant, dans sa Passion, la force de la présence du Messie se laisse voir autrement, non pas dans la splendeur rayonnante de la Gloire ou de la Transfiguration, mais dans l’abaissement caché et la douleur de la Croix.

Apprenons à reconnaître Jésus tel qu’il est, de le voir vraiment en sa beauté : « heureux les cœurs purs, ils verront Dieu ». Mais il ne s’agit pas d’une considération esthétique particulière. Saint Augustin, dans son commentaire du psaume 44, rapproche le verset 3 d’un autre verset de l’Ecriture, en apparence contradictoire, celui du 4e chant du Serviteur : « sans beauté ni éclat pour attirer nos regards et sans apparence qui nous eût séduits, objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu’un devant qui on se voile la face, méprisé, nous n’en faisions aucun cas » (Is 53, 2-3). Et il commente ainsi : « si l’on considère la miséricorde qui l’a fait se revêtir de notre chair, il est beau, même là ». Et saint Augustin poursuit : « Pour nous qui croyons, l’époux peut désormais apparaître partout dans sa beauté. Il est beau en tant que Dieu, Verbe auprès de Dieu ; beau dans le sein de la Vierge, où il a assumé l’humanité sans perdre sa divinité ; beau est le Verbe quand il est né petit enfant, parce que, tandis qu’il était petit enfant, qu’il tétait, qu’il était porté dans les bras, les cieux ont parlé, les anges ont chanté ses louanges, une étoile a guidé les mages, il a été adoré dans la mangeoire, lui, la nourriture des doux. Donc il est beau dans le ciel, beau sur la terre ; beau dans le sein maternel, beau dans les bras de ses parents ; beau dans ses miracles, beau dans la flagellation ; beau quand il invite à la vie, beau quand il ne se soucie pas de la mort ; beau quand il dépose sa vie, beau quand il la reprend ; beau sur le bois de la croix, beau dans le sépulcre, beau dans le ciel. Ecoutez ce chant pour l’intelligence, que la faiblesse de la chair ne détourne pas vos yeux de la splendeur de sa beauté. » (Commentaire du Ps 44, § 3).

Mais comment pouvons-nous accéder nous aussi à la beauté du Christ, à la beauté de Dieu ? Dans son commentaire de la 1ère lettre de saint Jean, saint Augustin pose la question et y répond : « Comment deviendrions-nous beaux ? En aimant celui qui est toujours beau. Plus croît en toi l’amour, plus croît la beauté; car la charité est la beauté de l’âme. » La beauté de notre liturgie ne tient pas d’abord, comme au temps du grand prêtre Aaron, a l’encens qui brûle à l’encensoir et en remplit le sanctuaire, ni aux vases d’or massif tout ornés de pierres précieuses. La beauté de notre liturgie, c’est la charité du Christ qui s’est livré lui-même, la beauté de l’amour de Dieu qui a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés, la beauté de notre participation vraie à ce mystère. Puissions-nous donc, en communiant au sacrifice eucharistique et en vivant en conformité avec les exigences de cet amour, participer par notre charité à la beauté du Christ, la beauté du Dieu de miséricorde.