Chanoines réguliers de Prémontré
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Oct
Écrit par f. Norbert

28 septembre 2025 – XXVIe dimanche du temps ordinaire

Chers frères et sœurs,

L’évangile que nous venons d’entendre, nous le connaissons presque tous presque par cœur. Le riche anonyme et le pauvre Lazare. Le riche anonyme festoie, le pauvre Lazare crève de faim à la porte ; le riche anonyme est vêtu somptueusement, le pauvre Lazare n’a que quelques loques sur la peau ; le riche anonyme est en parfaite santé, le pauvre Lazare a des plaies purulentes que viennent lécher les chiens. Leur mort à tous deux marque un prodigieux retournement de situation : le riche anonyme est en enfer, le pauvre Lazare est dans le sein d’Abraham, sans qu’aucun déplacement soit possible. Le riche anonyme reste en enfer ; le pauvre Lazare reste dans le sein d’Abraham. Dans l’histoire, cette parabole a reçu au moins deux interprétations.

D’abord, elle a produit un discours visant à supporter patiemment les injustices et les souffrances du temps présent, car tout sera inversé au Ciel. Cette interprétation a donné lieu à une critique acerbe, celle de Karl Marx, pour qui « la religion est l’opium du peuple », ce qui anesthésie, fige les situations et empêche toute évolution. Or cette interprétation est passée à côté de l’essentiel. D’où la seconde interprétation traditionnelle, qui consiste dans une invitation éthique : agis de telle sorte que tu ne retrouves pas en enfer comme le riche anonyme, mais dans le ciel auprès du pauvre Lazare. La parabole nous exhorterait à agir bien. C’est mieux, mais ce n’est pas suffisant. Car cette seconde interprétation ne repose que sur nos seules forces. Il faut donc élaborer une troisième interprétation. La clé réside dans la dernière phrase de la parabole : « S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus. » De cette phrase de Jésus, je tire deux enseignements.

Le premier enseignement, c’est que nous devons écouter Moïse et les Prophètes. À travers eux, c’est toute l’Écriture, c’est toute la Bible que Jésus désigne. Est-ce que nous lisons l’Écriture ? Est-ce que nous prenons de la méditer, de la ruminer ? L’année pastorale qui commence est une occasion pour plonger dans la lecture de la Parole de Dieu ou pour nous remettre en selle dans la lectio divina. Dans l’Écriture, Dieu se révèle à nous et nous conduit à nous convertir, à amender notre vie. En un mot, Dieu nous convie à devenir des saints. Le plus tu gardes les paroles de l’Écriture dans ton cœur, comme le faisait la Vierge Marie, le plus tu peux devenir saint. Frères et sœurs, gardons nos Bibles ouvertes, que la Parole s’imprime dans nos cœurs.

Deuxième enseignement. Il y a une invitation éthique dans cette parabole. C’est vrai. Mais nous ne partons pas de rien, ni ne sommes livrés à nos propres forces. En effet, Jésus dit : « quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts. » Ce « quelqu’un » dont Jésus parle, c’est lui-même ! C’est donc à la lumière de la résurrection de Jésus que nous devons comprendre la parabole, c’est à la lumière de la résurrection de Jésus que nous devons agir. Parce que le Christ est ressuscité, parce qu’il nous a ouverts tout grand les portes de la vie, alors notre vie doit changer. Il ne s’agit pas d’imiter Lazare à dormir dehors, affamé, quasi-nu et plein de plaies purulentes. Non. Il s’agit pour les riches anonymes que nous sommes d’inviter le Lazare qui git à nos portes. Moi, paroissien de Saint-Martin en Bessin, de l’abbaye ou des villages, qu’est-ce que je vais faire en cette année pastorale qui commence pour inviter le Lazare qui est à ma porte ? À quoi suis-je invité ? Moi, chef ou cheftaine des Guides et Scouts d’Europe, qu’est-ce que je vais faire pour celui qui reste à l’écart ? Qu’est-ce que je dois changer dans ma manière de prendre soin de mon unité, dans ma manière de veiller sur les jeunes qui me sont confiés ? Moi, Prémontré de Mondaye, quel est le Lazare que je vais rejoindre ? Nous tous, c’est à la charité pour nos frères que nous sommes invités, au nom même de la résurrection de Jésus. Car la Résurrection fait de nous un seul corps, dans lequel nous avons à veiller les uns sur les autres, à nous aimer les uns les autres. Voilà la charité.

Chers frères et sœurs, la résurrection de Jésus, que nous célébrons en ce dimanche comme chaque dimanche, produit un effet de levier dans nos vies. Depuis la Résurrection, le monde a changé, et notre vie doit changer aussi. Le Royaume est inauguré. Dans le Royaume, ce n’est plus le riche anonyme et le pauvre Lazare qui sont séparés par les murs du palais du riche ou par le grand abîme qui sépare le ciel de l’enfer ; c’est le riche anonyme et le pauvre Lazare bras dessus bras dessous, qui banquettent ensemble, qui trinquent ensemble, qui sont devenus frères. C’est l’expérience que nous faisons nous-mêmes maintenant, en proclamant ensemble notre foi et en communiant au corps du Christ.