Chanoines réguliers de Prémontré
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Oct
Écrit par f. Matthieu

21 septembre 2025 – XXVe dimanche du temps ordinaire

Crux interpretum, crux interpretum tel est le joli nom latin que l’on donne parfois à certains passages bibliques. Si les textes de Nouveau Testament ont beau être les écrits qui ont été et sont encore les plus lus et les plus commentés ; il est parfois des épisodes qui résistent à la compréhension. Aussi les nomment-on crux interpretum la croix des interprètes, donc la croix de ceux qui sont chargés de les enseigner, de les expliquer et qui même s’ils se trouvent derrière un ambon aussi joli soit-il se trouvent parfois dans une impasse où leur intelligence se trouve crucifiée.  

En fait frères et sœurs, cette parabole nous gêne car elle est proprement scandaleuse. Comment donner en modèle un homme aussi injuste ? Car non content d’avoir dilapidé les biens de son maître au point d’être dénoncé, puis congédié, il est mis en demeure de rendre compte de sa gestion. Or le voilà qui récidive en lésant gravement son maître, tout en faisant bénéficier de ses largesses les débiteurs de son maître. En diminuant la dette de ses administrés le gérant en fait ses propres débiteurs, ainsi ils ne pourront lui refuser l’hospitalité quand il se présentera à eux.

L’intendant dilapide les biens de son maître tout comme le fils prodigue a dilapidé la fortune de son père. Le fils aîné qui refuse de pardonner à son frère n’est certes pas un modèle à imiter, quant au cadet son repentir est louable, son inconduite antérieure pas vraiment.

Mais à bien y réfléchir : les paraboles de Jésus ne sont-elles pas d’abord des mises en scènes de personnages à imiter ?

C’est donc normalement un certain électrochoc que la parabole doit produire en chacun de nous, cependant avec deux lectures possibles.

            La première lecture qui serait : le maître renvoie son intendant, mais il loue son habileté, il la reconnaît, c’est une invitation à la sagesse dans notre rapport avec nos semblables.

            Une seconde lecture bien différente avec quelques interrogations :

Qui est le maître ? Dieu

            Qui est l’intendant ? Le disciple

            Qui sont les débiteurs ? Ceux qui ont des dettes envers Dieu.

            De quoi l’intendant est-il félicité ? D’avoir remis les dettes des débiteurs.

            Ici alors, selon cette hypothèse, le rôle des disciples est de remettre les dettes des hommes. Cette lecture nous rappelle que le règne de Dieu ne se gère pas à la manière d’une entreprise, règne de la grâce et de la générosité, du pardon, de la remise des dettes.

En s’appuyant sur la miséricorde envers les hommes, l’intendant s’attire la louange du Maître et, sans doute, son pardon. Voilà ce que le disciple avisé doit comprendre : il n’a rien à perdre, au contraire, il a tout à gagner à remettre leurs dettes à ses frères, débiteurs comme lui.

Ici ce n’est donc pas l’injustice qui est louée, mais l’habileté de l’intendant, sa sagesse qui est louée par le maître.

Il est avisé car il met l’argent au service des relations.

Ce qui est dénoncé en fait c’est notre rapport à l’argent. Quand l’argent devient une divinité, ou divinisé au sens où il prend le pas sur tout le reste de la vie, où on lui sacrifie tout, alors il est un argent trompeur qui devient source d’injustice.

Ces richesses, ces biens ainsi personnifiés prennent le nom de Mammon qui est la version démoniaque de l’argent, quand il prend possession de la personne. Quand la personne ne devient plus serviteur, mais quand Mammon devient son maître.

Jésus en annonçant que ce sont les débiteurs du maître qui accueilleront les disciples dans les demeures éternelles, invite à considérer les pécheurs, non comme des personnes à éviter, mais comme des humains qui seront au bénéfice d’une grâce plus importante que la leur. Il convient donc de s’en faire des amis. Soyez généreux vivez dans la grâce et le pardon, afin que le jour où vous manquerez de grâce, ce soit ceux à qui vous l’avez transmise qui la partagent avec vous. La grâce à ceci de particulier qu’elle se multiplie en se donnant alors qu’elle se dénature en se thésaurisant.

C’est ainsi que nous sommes invités frères et sœurs à repenser comment nous nous comportons vis-à-vis de l’argent : il faut choisir entre ce qu’il est et ce qu’il signifie, entre le moyen et la fin. En soit il est une petite chose, mais il en dit beaucoup. En soi il n’est rien, mais c’est l’attitude de l’homme à son égard qui est significative de son comportement envers le bien véritable. C’est une question de fidélité, et la fidélité suppose une relation à l’autre, une relation au prochain d’abord, avec lequel l’argent est un moyen d’échange, mais aussi et à travers le prochain, à celui qui a créé et l’argent et le prochain à savoir Dieu lui-même.

Si je pousse un peu plus loin ce raisonnement, c’est un peu la même chose que pour la Loi. La Loi divine comme l’argent est une bonne chose. C’est même la bonne chose par excellence : « Les préceptes du Seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur ; le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard. La crainte qu’il inspire est pure, elle est là pour toujours ; les décisions du Seigneur sont justes et vraiment équitables : plus désirables que l’or, qu’une masse d’or fin, plus savoureuses que le miel qui coule des rayons ». dit le psaume 18 ?

N’est-ce pas ce qu’Israël a reçu de plus précieux, comme ce que Dieu a donné à son fils préféré entre tous. Or la Loi peut devenir la pire des choses quand elle n’est plus comprise, vécue et pratiquée comme le symbole de la relation avec Dieu et avec autrui, quand elle devient un but en soit, quand l’homme met sa confiance en elle, en sa pratique, pour se justifier soi-même. Coupée de sa signification, la Loi cesse d’être entendue comme une parole, elle devient une pure idole.

La conclusion de la parabole n’est en aucun cas une incitation à la duperie, mais elle met en valeur la responsabilité personnelle de chacun et donc la liberté. Ainsi, c’est au quotidien que nous faisons l’expérience de notre liberté. De notre liberté à choisir, à poser un choix face aux multiples sollicitations qui nous sont faites. Qu’avons-nous à choisir ? Soit d’augmenter la présence de Dieu dans nos vies en acceptant son amour, soit de rejeter cet amour en choisissant notre propre voie.