Chanoines réguliers de Prémontré
26
Avr
S. Ludolphe, évêque de notre Ordre
Écrit par F. François-Marie

24 décembre 2022 – Nativité du Seigneur – Messe de la nuit

Un nouveau-né déposé dans une mangeoire : tel est le signe donné cette nuit de Noël aux bergers.

Une mangeoire. Dans les belles fermes de notre région, on trouve souvent de vastes mangeoires, taillées dans la pierre calcaire, pour nourrir les bêtes durant l’hiver. J’ai vu ces jours-ci une grande crèche, dans laquelle une vaste mangeoire creusée dans la pierre, attendait la venue de l’Enfant. J’aime prier devant ces crèches avant Noël, avec cet espace encore vide, ce creux en attente de Celui qui vient. En les contemplant, il me semble percevoir ce que doit devenir mon âme pour pouvoir accueillir le Seigneur en la nuit de Noël. Une pierre ne se creuse pas facilement, lorsque l’eau s’en charge, cela demande des milliers et des milliers d’années. Il faut du temps aussi, dans nos vies, pour qu’une véritable intériorité se creuse en nous. Peut-être l’Eglise, nos communautés chrétiennes, paroissiales, religieuses, et chacun de nous personnellement, ont-ils besoin de se laisser ainsi creuser. Ce creux est un élargissement du cœur pour accueillir les autres, Celui qui vient. Il est aussi un espace de silence et de prière. On dit qu’il faut 15 ans pour qu’un chartreux entre dans le silence, alors imaginez un peu pour nous qui vivons souvent sur nos portables et dans la connexion ininterrompue ! Cette intériorité est décisive. Elle est la crèche où accueillir le Sauveur qui se fait homme pour nous. L’intériorité est le chemin : plus nous l’empruntons, plus nous laissons l’eau vive de l’Esprit Saint le creuser en nous, plus il se révèle comme le lieu, l’espace insondable, où nous pouvons accueillir toujours davantage en nous le Verbe fait chair. « Tu étais au-dedans, et moi au-dehors », « Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi », s’exclame notre Père saint Augustin dans le livre des Confessions (X, XXVII, 38). L’intériorité mesure notre capacité à accueillir le Verbe fait chair, à Noël, et ainsi toute personne qui vient à nous. L’intériorité véritable est alors toute autre chose que le repli sur soi ou l’égoïsme, elle apporte la paix et le goût d’une vie chrétienne plus authentique.

Déposé dans une mangeoire.  Déposé : le verbe grec employé ici pour dire « être couché » signifie aussi « être mort », et saint Luc utilise ce même terme lors de la mise au tombeau du Christ : « Joseph d’Arimathie mit le corps de Jésus dans une tombe taillée dans le roc où personne encore n’avait été déposé » (Lc 23, 52). Ainsi Noël et Pâques s’éclairent mutuellement. Celui qui naît en cette nuit est le même qui sera déposé dans un tombeau, une pierre creusée, là encore, après avoir déposé sa vie pour nous, l’avoir livrée. Si Dieu se fait homme, c’est pour notre Salut, et les bergers voient devant eux celui qui sera l’Agneau de Dieu, qui enlève les péchés du monde par sa mort sur la Croix. Dès la naissance du Christ, saint Luc nous prépare à la destinée inattendue du Messie. Saint Luc nous dit que, lors de la Passion, Hérode, en voyant Jésus, arrêté devant lui, est tout heureux car il espère voir Jésus accomplir devant lui quelque signe exceptionnel (cf. Lc 23, 8). Mais Jésus n’accomplit rien devant lui. Le signe est un signe de contradiction, prévenait déjà le vieillard Simon, en recevant dans ses bras l’Enfant Jésus au Temple. Ce signe, c’est le mystère d’un Dieu qui va jusqu’à connaître la naissance humaine et la mort, pour libérer l’humanité du péché, du mal et de la mort.

Un nouveau-né déposé dans une mangeoire : Un nouveau-né : Noël, c’est simplement un nouveau-né. Noël nous introduit dans l’ordinaire de Bethléem, loin du bruit du monde, loin de l’exceptionnel, loin des trompettes médiatiques auxquelles vibre la société. L’ordinaire si décisif cependant, où se forme durant l’enfance, auprès de nos parents, les bons réflexes, les vraies dispositions, qui nous rendrons solides, généreux et sereins dans l’existence. Nous autres, chrétiens, nous devons probablement devenir davantage des enfants de Bethléem, et non du bruit. Il nous faut apprendre à vivre un peu à l’écart d’une mondanité bruyante et superficielle, faite de réactivité immédiate mais de peu de réflexion, peu apte à recevoir le mystère de Noël, la venue de Dieu, du Très-Haut qui se fait le Très-Bas, selon la belle expression de Christian Bobin dans son ouvrage, le meilleur qu’il ait composé, à mon sens, sur saint François d’Assise. A propos de l’épisode, décisif dans la vie de saint François, du baiser au lépreux, qui va marquer définitivement la conversion de saint François à la suite du Christ humble et pauvre, Christian Bobin écrit : « Les pauvres en savent assez sur le monde pour comprendre d’où vient ce geste du jeune homme, pour comprendre qu’il ne vient pas de lui mais de Dieu : seul le Très-Bas peut s’incliner aussi profondément avec autant de simple grâce… Saint François a trouvé la maison de son maître… Il sait maintenant où loge le Très-Bas. » Au fond, l’Incarnation de Dieu est si extraordinaire, si inconcevable, si surnaturelle, que seule l’humanité peut l’accueillir dans ce qu’elle a de plus simple, de moins sophistiqué, oui, le plus naturellement possible, sans la moindre forme de préciosité.

Un nouveau-né déposé dans une mangeoire. Heureuse nouvelle de la miséricorde de Dieu qui s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent, appel à la conversion pour accueillir ce don de Dieu qui s’offre dans le signe le plus élémentaire qui soit : l’enfant dans la mangeoire. A présent, en cette nuit de Noël, l’enfant dans la mangeoire devient le pain qui peut vraiment nourrir notre humanité. Bethléem, la maison du pain, c’est à présent cette église, chacune de nos églises où Noël est célébré en cette nuit. Le corps livré sur la Croix est devenu le pain de Vie. Celui qui gisait dans la mangeoire se donne désormais lui-même à manger. Recevons-le en cette nuit, en cette eucharistie, afin de devenir, à notre tour, comme les bergers de Bethléem, des contemplatifs et des missionnaires, qui louent Dieu pour tout ce qu’ils ont vu et qui témoignent de ses merveilles pour les hommes qu’Il aime.

Amen !