Chanoines réguliers de Prémontré
25
Avr
S. Marc, évangéliste
Écrit par f. Gabriel

18 décembre 2022 – 4è dimanche de l’Avent

Au début de chaque « James Bond », il y a toujours une scène d’ouverture, explosive et spectaculaire, qui reprend un peu les codes des films précédents. Il en est de même parfois dans la Bible : il arrive que les premières lignes de certains livres reprennent l’ouverture d’un livre précédent ! Ainsi, nous venons de recevoir la première scène de l’évangile de Matthieu, et qui reprend une scène inaugurale du livre de la Genèse. Dans ces deux scènes d’ouverture, un homme sommeille et une femme n’est pas loin : Adam et Ève, pour inaugurer l’Ancien Testament, Joseph et Marie, pour ouvrir le Nouveau. Qu’est-ce que cette construction calquée de l’ouverture du Nouveau Testament sur celle de l’Ancien veut nous dire ? J’aimerais vous montrer que ce que vit Joseph dans son sommeil n’est rien d’autre, en fait, que la réalisation du projet créateur de Dieu ; ce qui est dévoilé dans ce sommeil inaugural, c’est la vérité de notre humanité, la manière choisie par Dieu pour nous conduire au salut.

Au tout début du premier livre de la Bible, on voit un homme, endormi, qui ne maîtrise rien : Adam dont Dieu prélève une côte et « [la] façonna en femme » (Gn 2, 22). Pourquoi Dieu procède-t-il à cette « opération chirurgicale » ? Parce qu’il « n’est pas bon que l’homme soit seul ». L’homme seul n’a pas d’issue, il est bloqué, perdu. Dieu décide donc de « lui faire une aide qui lui correspondra » (Gn 2, 18).

En français le mot aide peut prendre les sens rabougris de « coup de main », de « soutien », d’« assistance ». Dans la Bible, ce mot aide revêt en revanche une importance toute particulière, à connotation divine. Hormis ce verset de la Genèse où Dieu emploie le mot pour désigner la femme, partout ailleurs dans la Bible aide est employé pour désigner Dieu lui-même. Dans les Psaumes, par exemple, quand on lit l’expression « le Seigneur est mon secours », c’est le terme « aide » qui est sous-jacent en hébreu.

Dans la Bible, Dieu apparaît comme une aide pour l’homme lorsqu’il intervient au cœur d’une situation sans issue et de manière inattendue. « L’aide qu’il apporte, ou plutôt qu’il est, relève de l’irruption, inattendue et vivifiante[1] » : dans une situation bloquée, perdue, le Seigneur perce un chemin qui dépasse tout ce que l’homme aurait pu imaginer. Qu’une femme soit une aide pour l’homme indique donc résolument le registre du salut, pas celui d’un assistanat discret : Ève est auprès d’Adam le signe visible de ce que Dieu fait pour lui ; elle est véritablement le don de Dieu qui sauve Adam de la solitude mortifère.

À cet homme endormi, qui ne maîtrise rien, qu’est Joseph, Dieu amène aussi une aide. Marie est un don pour Joseph : elle est la femme pour lui, son aide, au sens biblique du terme, avec cette connotation absolument divine, pas celle péjorative du français.

On a parfois pu nous présenter un Joseph réquisitionné par Dieu, renonçant à ses propres projets. Comme si, prenant Marie pour femme, il se forçait. On suggère par là que la foi en Dieu contraindrait nécessairement un homme à renoncer à ses espoirs les plus légitimes ; c’est voir Dieu d’un mauvais œil. Dieu est celui qui accompagne nos désirs profonds.

Marie qui porte un fils issu d’elle et de l’Esprit est le don de Dieu de ce qu’il y a de mieux pour Joseph. Il peut la prendre chez lui, c’est Dieu lui-même qui l’y a conduite. Venue de Dieu et portant Dieu, Marie arrive dans la vie de Joseph au jour où il lui faut une aide qui lui permette d’aborder une nouvelle étape de son déploiement, hors de toute solitude mortifère.

Bien loin d’être privé de sa femme et des conditions « normales » d’un mariage attendu, Joseph devient le premier témoin et le premier bénéficiaire de ce que Dieu offre de plus précieux. En vérité, Dieu fait pour Joseph ce qu’il fait depuis le premier jour, depuis la première scène d’ouverture ! Le projet créateur de Dieu ne s’est pas arrêté à Adam : il ne cesse de le réaliser, comme le montre la scène d’ouverture de l’évangile calquée sur l’histoire d’Adam. Cela signifie qu’aujourd’hui encore, Dieu sait l’aide dont l’homme a besoin, et il l’offre.

Plus généralement, l’Évangile de ce jour peut nous dire que le projet de Dieu est bien de nous donner les uns aux autres. Lorsqu’il raconte l’annonce de l’ange à Joseph, l’évangéliste indique d’ores et déjà que Jésus vient restaurer en l’homme la capacité d’accueil et de don. La vérité de l’humanité est en effet là : l’homme est, pour reprendre les mots du concile Vatican II, « l’unique création qui peut se réaliser seulement par le don désintéressé de soi-même ».

Pour ton bien, Dieu veut donc te confier telle personne, et que tu répondes à ce don par le don de toi-même. Dieu nous sauve en nous donnant réciproquement l’un à l’autre. « Et en cela s’actualise son projet créateur[2]. » Chacun de nous peut donc dire à son frère, à sa sœur, à ses parents, à ses enfants et, plus encore, à son épouse : « Dieu t’a donné à moi ». À l’école de Joseph, nouvel Adam, que ces jours de préparation à Noël nous aident à dire les uns aux autres, à travers des actes concrets d’accueil et de don, particulièrement au sein de vos couples, de vos familles, mais aussi de notre communauté religieuse : « Dieu t’a donné à moi… tu es ma joie ».


[1] Philippe Lefebvre, Joseph. L’éloquence d’un taciturne, Paris, Salvator, 2012, p. 70.

[2] Jean-Paul II, « Le don désintéressé », NRT 134 (2012).