Écrit par f. Matthieu

11 décembre 2022 – 3è dimanche de l’Avent

Frères et sœurs « Quelle joie de vous voir ! » « Quelle joie de vous voir ce matin ! » Mais au-delà de l’expression elle-même, qui peut être un peu convenue, qu’est-ce qu’elle renferme ? Qu’elle est la profondeur du sentiment que nous exprimons quand nous l’employons ? Sincérité, franchise, joie réelle, joie contenue, joie d’apparence ?

Peut-être comme Jean-Baptiste avons-nous un doute, des doutes ? Alors qu’il est celui qui en quelque sorte nous montre le chemin de l’Avent avec Isaïe, qui nous invite à nous réjouir de la venue tout proche du Seigneur, voilà que la liturgie nous le montre obscur, ténébreux.

Les textes jusque-là nous le montrait au désert, libre et prêchant, le voici prisonnier d’Hérode confiné dans un cachot.

Au bord du fleuve du Jourdain, il avait une parole sûre pour annoncer le baptême, ici il s’interroge, il doute.

Autrefois libre, désormais il envoie des disciples pour obtenir des réponses, sûr de son propos et de la conversion qu’il annonçait, le voilà troublé « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »

Est-ce qu’il y a là un phénomène de surface qui pourrait être balayé ou quelque chose de plus profond, une certaine nuit surgit quand les textes évoquent :

– « le désert et la terre de la soif, les mains défaillantes, les genoux qui fléchissent, les gens qui s’affolent, les captifs amenés en déportation » – pour reprendre les paroles d’Isaïe ;

– ou encore, celles de saint Jacques : « l’impatience, le manque de fermeté, les gémissements des uns contre les autres. »

Tout cela, ne serait-ce que des apparences ? Apparences peut-être, mais cela nous ressemble tellement !

Or en face de ces questionnements, de ces doutes, de ces interrogations, de ces états d’esprits, c’est en faisant mémoire des évènements du passé, des signes reçus que l’on maintient et renouvelle l’espérance. C’est bien le sens de cette eucharistie, de toute eucharistie, comme mémorial d’un évènement certes du passé, mais qui marque définitivement notre histoire et nous plonge dans l’attente d’un banquet, du banquet qui nous attend dans le Royaume. Alors oui quelle joie de vous voir ce matin pour venir célébrer cette eucharistie.

Dans son Exhortation apostolique la « Joie de l’Évangile » le saint Père introduisait son propos ainsi : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ la joie naît et renaît toujours »

Il y a ces joies sommes toutes factices que notre monde contemporain entretient. Comme une caricature de la joie qui n’est autre qu’une incitation à une excitation permanente entretenue par une agitation somme tout très mondaine faite de smiles, de pouces levés, de stations de radio comme Rires et chansons, de plateaux télé ou d’émissions qui ne recherchent rien d’autre que les rires graveleux de la moquerie et de l’humiliation. Cette forme de joie, cette injonction à devoir être toujours joyeux, voudrait ne jamais voir la réalité en face et justement donne d’être totalement désemparé devant la réalité de la maladie, de la mort, de la peine.

Cette joie de vivre nous est comme plaquée comme un vernis qui craquèle avec le temps et ses aléas. Cette joie elle est extérieure à nous-mêmes, au-delà de nous et non pas au-dedans de nous. C’est l’expérience de conversion de notre Père Saint Augustin qu’il rapporte dans son ouvrage « les Confessions » :

Bien tard je t’ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors et c’est là que je te cherchais, et sur la grâce de ces choses que tu as faites, pauvre disgracié, je me ruais ! Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi ; elles me retenaient loin de toi, ces choses qui pourtant, si elles n’existaient pas en toi, n’existeraient pas ! Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité ; tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité ; tu as embaumé, j’ai respiré et haletant j’aspire à toi ; j’ai goûté, et j’ai faim et j’ai soif ; tu m’as touché, et je me suis enflammé pour ta paix.[1]

Dans notre chemin d’avent frères et sœurs entrons dans cette joie qui vient de la vision d’un monde en devenir, d’un royaume qui chaque jour se construit, mais pas sans notre participation. Notre participation c’est notre foi en ce Dieu qui se fait homme à la crèche et qui œuvre au salut pour notre salut, même si cela échappe peut-être à nos yeux tout humain « car les aveugles retrouvent la vue ».

Acceptons d’entrer dans une croissance nouvelle, oui nous sommes certainement dans des épreuves chacun à notre niveau, comme l’Eglise, comme le monde, mais elles nous offrent d’entrer dans une vie nouvelle si nous choisissons de faire confiance, de cette confiance qui nous donne de croître au-delà de ce que nous pouvons, ou pourrions imaginer « Le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. ». La perspective du Royaume de Dieu nous fait progresser dans une confiance renouvelée.

Entrons dans cette croissance nouvelle. Nous sommes dans des épreuves qui nous font entrer dans une vie nouvelle. Les rencontres de Jésus nous sont données pour affronter demain. Eclairés par lui, tout devient possible. Cette confiance nous donne de croître au-delà de ce que nous pourrions imaginer. Nous sommes ce « plus petit » qui n’est plus seul. En lui, Jésus se donne et se reçoit sans cesse. Ainsi nous pouvons louer Dieu par tout ce qui advient. Vivons de cette petitesse en recevant ce qui nous est donné. Nous pourrons alors témoigner dans la nuit de la foi que Jésus est glorifié sans cesse par notre vie.

Demain matin quand on vous demandera comment ça va, ne répondez pas « ça va comme un lundi », mais « ça va comme un chrétien » joyeux porteur d’une espérance, germe de vie, anticipation du Royaume.

« Quelle joie de vous voir », frères et sœurs ! Fallait-il ce matin attendre quelqu’un d’autre, autre que celui qui va se donner dans l’hostie dans quelques instants et de communier à son corps.

« Quelle joie Seigneur de voir »

« Quelle joie Seigneur de te voir à l’œuvre dans nos vies »

« Quelle joie Seigneur de te voir en chacun de nous »

« Quelle joie Seigneur de te rendre présent à tous ».


[1] Saint Augustin « Les Confessions » X,27