Chanoines réguliers de Prémontré
19
Mai
Pentecôte - Solennité
Écrit par F. François-Marie

Jour de Pâques – 17 avril 2022

Dans l’Evangile de ce matin, deux personnes sont appelées par leur nom : Marie Madeleine et Pierre. Le troisième, lui, n’est pas nommé. On l’appelle « l’autre disciple ». Or son rôle est déterminant, puisqu’il est le premier à croire : « il vit et il crut ». Un indice précieux nous permet de l’identifier, cependant. L’évangéliste dit de lui « l’autre disciple, celui que Jésus aimait ». Au soir de la Cène, lorsque Jésus va être livré, un des disciples « celui que Jésus aimait » se penche sur la poitrine de Jésus pour lui demander « qui est-ce ? » Et après la résurrection, sur le lac de Tibériade, lorsque Jésus apparaît, ce disciple est à nouveau le premier à reconnaître Jésus : « le disciple que Jésus aimait dit à Pierre, c’est le Seigneur ! » Ce disciple, qui se désigne lui-même comme l’auteur de l’Evangile, la tradition ancienne l’a identifié à l’Apôtre Jean. Mais ce matin, il est heureux que ce disciple n’ait pas de nom. Jean, l’Apôtre, est aussi dans la tradition le plus jeune des apôtres et dans l’art, on l’a souvent représenté sans barbe, pour le reconnaître parmi les Douze. Et si, ce matin, l’autre disciple ne portait pas de nom pour qu’il puisse s’identifier à chacun de nous, mais peut-être justement à chacun de vous, jeunes de notre assemblée, vous qui êtes nombreux aujourd’hui, même si vous êtes jeunes et avec une barbe ! L’Evangéliste, en écrivant son récit, pensait peut-être de manière spéciale, lui aussi, aux jeunes de sa communauté.

Aussi, permettez que je m’adresse d’abord à vous. Que se passe-t-il, dans cet Evangile du matin de Pâque : le choc, c’est la disparition du corps de Jésus. Pour Marie de Magdala, le corps est perdu, et pour Pierre, le tombeau est vide. Le corps de Jésus, son corps organique a disparu du tombeau, parce que la résurrection concerne ce corps. Ressusciter est autre chose que d’aller au ciel avec notre âme, ce que nous espérons tous pour l’heure de notre mort. Ressusciter, cela veut dire revivre  bien réellement, d’une vie nouvelle et définitive, dans son corps. Cette vie, nous dit saint Paul, dans la lettre aux Colossiens, reste cachée avec le Christ en Dieu. Mais quand le Christ paraîtra, lui qui est notre vie, alors nous aussi, nous paraîtrons avec lui dans la gloire. Pour paraître, il faut avoir un corps.

Le corps de Jésus ressuscité n’est plus ce corps de chair, voué à la mort, avec ses maladies, ses infirmités, ses faiblesses, mais un corps spirituel, dont parle saint Paul. Ce qui s’oppose au spirituel n’est pas le corporel mais le charnel. Alors que sommes-nous invités à croire ? Peut-être au moins trois choses importantes.

La première, la plus essentielle, c’est que vous êtes, chacun, ce disciple que Jésus aime. Je le dis bien au présent : non pas que Jésus a aimé il y a 2000 ans. Jésus n’appartient pas au passé, justement parce qu’il est ressuscité dans son corps et que ce corps spirituel n’obéit plus aux contingences de l’espace et du temps qui sont les nôtres. Pour ce qui est du temps, le Christ ressuscité nous est plus que jamais contemporain. Pour ce qui est de l’espace, sa disparition à nos yeux de chair ne signifie pas son absence, son invisibilité ne veut pas dire son éloignement. Jésus vous aime au présent et ici, c’est-à-dire dans votre vie concrète, réelle, quotidienne, cela veut dire que vous êtes appelés à une vraie connaissance d’intimité, d’amitié, avec le Christ, personnellement. Et c’est la foi qui permet de le découvrir. Les apparitions de Jésus ressuscité n’ont duré qu’un temps, mais elles ont aidé les disciples à passer des sens physiques, l’ouïe, la vue, le touché, à un sens spirituel, celui de la foi. Caché désormais en Dieu, il nous faut apprendre à reconnaître le Christ avec nous, au milieu de nous, en nous, avec l’aide des Ecritures. Parce que Jésus est vivant aujourd’hui, son Evangile nous rejoint maintenant. Quand vous méditez les évangiles, quand vous priez avec eux, Jésus vivant vient à vous aujourd’hui. Et comme les apôtres après Pâques, après le doute et l’étonnement, viennent la paix, la joie et le désir d’annoncer de l’Evangile : notre cœur n’était-il pas tout brûlant quand il nous parlait en chemin, et nous expliquait l’Ecriture, disent les disciples d’Emmaüs, et ils s’en retournent tout joyeux à Jérusalem. Chers jeunes disciples du Seigneur, vous que Jésus aime, recevez aujourd’hui sa joie et sa paix. Ayez confiance en Lui, ne vous découragez pas devant toutes les difficultés du monde contemporain. Elles sont réelles, mais elles ne sont pas toute la réalité. Le Christ est vainqueur du mal, et avec lui, nous pouvons traverser les épreuves, dans l’espérance.

L’espérance, c’est justement le deuxième acte de foi de la Résurrection, pour ainsi dire. Quelle espérance ? Celle de la fécondité ! Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. Par ces mots, Jésus annonçait déjà par une image le sens de sa mort et de sa résurrection. Le corps ressuscité du Christ reste caché, comme le grain qui a été enfoui en terre, mais la communauté de ceux qui croient en lui devient ce corps visible du Christ, un corps appelé à grandir, à se multiplier. Fécondité incroyable qui n’est pas seulement celle du nombre mais aussi de la transformation qui se réalise dans le cœur de ceux qui croient et qui aiment. Chers jeunes, disciples bien-aimés du Seigneur, si vous accueillez sans réserve le Christ dans votre vie, il vous offrira une fécondité que lui seul peut donner, au-delà de tout ce que le monde peut promettre en terme de succès humain, de réussite sociale ou professionnelle, de carrière de toute sorte.

Enfin, le troisième signe de la Résurrection, le plus caché parfois, mais certainement le plus authentique, c’est bien ce regard que nous pouvons porter désormais sur le corps : notre corps est fait pour la vie, il est fait pour aimer, dans le respect de soi-même et de l’autre, dans la fidélité, dans la chasteté, dans un oui donné une fois pour toute. Ce corps parfois si fragile, si faible, si maltraité, dit la dignité de toute personne humaine : j’étais nu et vous m’avez habillé, j’avais faim et vous m’avez nourri, j’avais soif et vous m’avez donné à boire. Oui, nous avons à annoncer la bonne nouvelle de la Résurrection pour le corps. Dans un monde qui maltraite et tue parfois le corps, le corps de l’enfant à naître dans le sein de sa mère, le corps dont on fait commerce ou qu’on abuse, le corps du réfugié livré comme esclave aux preneurs d’otage de toutes sortes qui exploitent les migrations humaines, le corps du prisonnier, enfermé entre quatre murs depuis des décennies, le corps du malade laissé durant des heures aux urgences d’un hôpital débordé, ou d’un dispensaire dont toute la pharmacie tient sur une simple étagère, le corps du vieillard dont on aimerait bien se débarrasser dans une soi-disant dignité.

Oui, Jésus est ressuscité : il vous aime au présent, il veut que vous portiez beaucoup de fruit, il a fait de vos corps la demeure de l’Esprit Saint. Passons aujourd’hui, avec le Christ ressuscité, de la mort à la vie! Amen !