Chanoines réguliers de Prémontré
24
Avr
Conversion de notre Père saint Augustin
Écrit par F. François-Marie

Pentecôte – 23 mai 2021

Il n’est pas facile de prêcher sur l’Esprit Saint, lui qui est pourtant au cœur de cette fête de la Pentecôte car l’Esprit, on ne l’a jamais pour ainsi dire en face de nous, mais en nous. En outre, la parole n’est pas le moyen par lequel il se fait connaître. La parole de Dieu, c’est le Christ, le Verbe fait chair. Si le Fils est la Parole, l’Esprit est davantage son chant, il n’y a jamais de Parole sans un souffle qui la porte, l’Esprit, c’est la Parole qui se met à chanter, et qui touche ainsi non seulement l’intelligence mais aussi le cœur, non seulement le raisonnement mais aussi l’amour. A Gethsémani, Jésus s’est tourné vers son Père en le priant ainsi : abba, Père. Et saint Paul nous dit que nous aussi, maintenant, remplis de l’Esprit, nous pouvons crier vers Dieu en l’appelant abba ! Quelle est la différence entre le mot araméen abba et celui de Père : d’un point de vue notionnel aucune, les deux mots veulent dire père. Mais le mot abba dit pourtant quelque chose de plus, il dit père avec affection et amour, dans l’élan du désir. Là est le propre de l’œuvre de l’Esprit. Connaître en aimant, voilà ce que fait l’Esprit Saint en nous ! Quel programme ! C’est la véritable sagesse, un savoir accompagné d’amour. J’ai rencontré cette semaine un chef d’entreprise qui me disait qu’il avait suivi d’abondantes et nombreuses formations en ressources humaines pour diriger son entreprise et son personnel. Et finalement, au bout du compte, tout pouvait se résumer en quelques mots : il faut aimer ses employés. L’art aussi fait cela : l’artiste magnifie ce qu’il aime, parce qu’il le trouve beau. L’Esprit Saint qui nous est donné en ce jour de la Pentecôte vient nous apprendre à aimer ce que Dieu nous a donné : sa création et son salut en son Fils. Saint Séraphin de Sarov, le plus populaire des saints russes, disait que la chose la plus importante, dans la vie chrétienne, c’est d’acquérir le Saint-Esprit. Et on comprend pourquoi : car au fond, recevoir l’Esprit Saint, c’est accueillir les dons de Dieu avec amour. Dieu nous fait des dons, son Fils, sa création, la vie qu’il nous donne, mais si nous n’accueillons pas tout cela avec amour, nous n’allons pas au fond des choses, nous restons à la surface, à l’extérieur, de manière formelle. Sans l’Esprit Saint, la grâce ne pénètre pas, nous ne mouillons pas à la grâce, comme dit Péguy. Le Christ ne vient jamais seul à nous, il vient toujours avec son Esprit, pour que nous l’accueillions vraiment, c’est cela qu’il nous faut comprendre. J’ai assisté tout récemment, tôt le matin, au lever du soleil. Peu à peu le ciel s’est illuminé, l’horizon s’est paré d’une ligne de lumière de plus en plus vive, quelques nuages sombres se sont peu à peu embrasés, puis soudain, le premier rayon du soleil a percé et en quelques instants, tout le disque du soleil levant est apparu. Et dans le même moment, nous avons senti la chaleur nous rejoindre et l’air glacé qui nous enveloppait encore s’est réchauffé. Eh bien, si le Christ est comme le soleil, l’Esprit est comme la chaleur qui en jaillit et nous rejoint. L’un et l’autre sont inséparables. Voilà pourquoi Jésus dit : il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. De même que la chaleur vient du soleil, de même l’Esprit vient du Christ, qui reçoit tout du Père. Si le Christ est la Vérité de Dieu, l’Esprit Saint est l’Esprit de Vérité.

Ce que les textes d’aujourd’hui nous font comprendre, c’est que l’Esprit Saint n’est pas seulement une énergie extérieure qui vient à nous. Mais l’Esprit nous est donné à partir du plus intime de nous-même. C’est étonnant cela. Nous pensons spontanément qu’un don est une réalité qui vient du dehors, mais parce que l’Esprit est déjà à l’intime de notre être, puisque rien n’est créé sans lui, le don de l’Esprit est un don qui nous vient du dedans, du désir le plus profond qui nous habite, de l’intelligence la plus pénétrante qui nous fait comprendre et de l’amour le plus enraciné qui nous pousse à nous donner. Ainsi à la Pentecôte, si les Apôtres reçoivent l’Esprit comme un souffle, une flamme descendant sur eux, elle éveille pourtant en eux la capacité à rejoindre la foule qui est présente dans la pluralité de leurs langues. Et c’est alors à l’intérieur d’eux-mêmes que chacun des auditeurs les comprends et sont touchés. Il en va de même chez saint Paul lorsqu’il décrit les fruits de l’Esprit. Ceux qui vivent selon l’Esprit se laissent conduire intérieurement par lui. Sa fécondité est une transformation intérieure de l’être qui la mène à l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi. Pour percevoir la présence de l’Esprit Saint, le chemin le plus sûr est celui de l’intériorité, car c’est au-dedans de nous que l’Esprit fait sa demeure, il fait de nous son Temple. « Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles », avons-nous chanté dans la séquence, avant l’Evangile. Et pourtant, cette inspiration intérieure, intime, n’est pas seulement individuelle, elle rejoint le corps du Christ tout entier, l’Eglise, et c’est dans l’Eglise que nous pouvons discerner l’authenticité de l’Esprit qui nous inspire. L’Esprit du Christ n’est pas n’importe quel Esprit, il est l’Esprit de vérité, celui qui nous introduit dans la vérité toute entière, et le Christ seul est La vérité, il est le chemin, la vérité et la vie. C’est bien du Christ que reçoit l’Esprit. Ainsi la mission du Christ et la mission de l’Esprit sont complémentaires l’une de l’autre. La Pentecôte n’est pas une fête de l’Esprit pour lui-même, indépendante pour ainsi dire de tout ce qui a été célébré durant le temps pascal concernant le Fils de Dieu fait homme. Elle en est bien plutôt l’achèvement, le don indispensable sans lequel nous ne pouvons pas accueillir pleinement en nous la vie que le Christ nous a donnée, pour que nous en devenions les témoins. Vous aussi, vous allez rendre témoignage, disait Jésus à ses disciples. Il nous le redit aujourd’hui à nous aussi. Mais sans l’accueil en nous de l’Esprit Saint, il nous est impossible de témoigner du Christ, témoigner c’est-à-dire non seulement parler de lui, mais donner jusqu’à notre propre vie pour lui. Sainte Thérèse de Lisieux écrivait : « je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Eglise, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Evangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang… » Nous pourrions ajouter « et les couples ne seraient plus fidèles l’un à l’autre, les parents n’éduqueraient plus leurs enfants, les religieux ne mèneraient plus la vie communautaire ». L’amour renferme toutes les vocations, toutes les missions, et cet amour, c’est par l’Esprit Saint qu’il est répandu dans nos cœurs. Alors oui, vraiment, viens Esprit Saint aujourd’hui, et ne cesse jamais de venir à nous. Amen !