Chanoines réguliers de Prémontré
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Juil
Écrit par F. Éric

29 juin 2025 – Saint Pierre et saint Paul

Nous fêtons ce dimanche la solennité de Saint-Pierre et Paul apôtres. Un dilemme se pose au prédicateur : peut-on évoquer, en une seule homélie, ces deux figures si importantes ? Moins de deux mois après l’élection du successeur de Pierre, il était tentant de se consacrer à la figure du chef de l’Église. Une tentation qui correspond à notre naturel de considérer une unité de direction pour gouverner, pour gérer une organisation et donc pour gouverner l’Église. Un seul, c’est plus simple ; et nous préférons une autorité unique, une personne qui nous guide.

Mais, plutôt que de céder à cette tentation, je m’attarderai sur le plus petit des mots du titre de cette fête : « et », « Saint-Pierre et Paul, apôtres ». Ces deux lettres « E » « T » sont essentielles pour comprendre quelle Église a voulue le Christ. Et c’est la raison pour laquelle l’Église a toujours associé ces deux figures, ces deux apôtres, bien qu’ils n’aient pas connu le martyre le même jour à Rome.

Cette fête ne s’appelle pas « Saint-Pierre et aussi Paul » qui associerait de dernier comme un supplément à Pierre, mais dans son appellation l’Église a choisi de mettre sur le même plan ceux que la Tradition a appelés les « deux colonnes de l’Église ». Paul est ajouté à Pierre. Paul est un ajout mais un ajout bien utile pour la mission de Pierre qui doit tenir le gouvernail. Paul n’appartenait pas aux Douze ; il n’a pas suivi Jésus depuis les commencements, et il a même persécuté Jésus en persécutant les chrétiens. Ainsi Paul apparaît comme un trublion, celui qui empêche de tourner en rond. Or, le rond est ce que nous considérons comme une figure idéale, là où il n’y a pas d’angle. Mais l’Église n’est pas une figure idéale ; elle est un peuple, le peuple de Dieu. Et Paul, dans ce peuple, va jouer un rôle indispensable.

Les relations de Pierre et de Paul n’ont pas toujours été paisibles, mais toujours fraternelles et ancrées dans la foi au Christ.Dans les premières communautés chrétiennes, la question de garder les observances rituelles juives posait problème aux frères venus du paganisme. Sur cette question, Paul s’est opposé à Pierre, non pas parce qu’il alternait entre ces deux observances, suivant qu’il était avec des frères venus du judaïsme ou du paganisme, mais parce qu’il laissait critiquer ces derniers. Paul écrit même « il était dans son tort » (Gal 2, 11). Qui oserait aujourd’hui ? Mais pour Paul l’enjeu tenait au cœur de la foi : la mort et la résurrection de Jésus est l’unique chemin qui donne accès au royaume de Dieu, dépassant toute observance du judaïsme.

L’apôtre Pierre n’a pas pris ombrage de la décision de ce qu’on appelle « le premier concile de Jérusalem ». Au contraire, éclairé par « l’apôtre des nations » (saint Paul), les anciens avaient discerné quel était le chemin pour vivre la fidélité au Christ.

Sans doute Paul s’est-il alors montré comme le perturbateur : il devait quand-même déranger dans les habitudes. Mais il apparaît sûrement comme un de ces « petits à qui le royaume est révélé ». « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ». (Mt 11, 25). Paul est bien ce « pauvre » du Royaume de Dieu, lui qui a donné sa vie pour la proclamation de l’Évangile. Il veut que ce Royaume soit accessible à tous, aux païens et aux plus petits ; en offrant sa vie « pour mener le bon combat » selon ses propres termes « pour la proclamation de l’Évangile », il a mis ses pas dans celui de son Maître, Jésus ressuscité.

Mais Pierre devait déjà savoir que, s’il était le premier des Apôtres, d’autres étaient indispensables à sa propre mission. Au matin de Pâques, ce n’est pas à Pierre que Jésus apparaît d’abord mais à des femmes. Il reçoit d’elles le message de l’ange qu’il est ressuscité et qu’ils DOIVENT se rendre en Galilée (Mt 28, 7). Et Pierre, le premier des apôtres, ne prend pas ombrage, même dans la culture de son époque, que ce soient des femmes qui lui transmettent cet ordre venant du Seigneur.

Nous avons deux choses à apprendre de cette conjonction de coordination « et », « Pierre ET Paul, Apôtres ».

Premièrement : dans l’Église, nous avons toujours besoin des autres, nous avons toujours besoin de l’autre, de celui ou de ceux qui nous rappellent quel est le chemin vers le Royaume de Dieu. Alors que notre tentation est de n’entendre qu’une voix, il faut laisser parler les autres voix, pour que, dans un second temps, la voix de l’autorité puisse se prononcer. Dans les récits de la résurrection par exemple, les disciples d’Emmaüs revenus à Jérusalem ont confirmation de leur rencontre du Christ ressuscité par ces mots qui font autorité : « il est apparu à Simon » (Lc 24, 34). Une chose est d’écouter, (« écouter ce que l’Esprit dit aux Églises » – Ap 2,7 -), autre chose est celle de discerner et de statuer. C’est l’esprit d’une Église synodale.

Deuxièmement, entre associant ces deux apôtres, l’Église nous rappelle que seul Dieu est unique, et nous savons qu’il l’est dans une relation trinitaire. Notre tentation de l’unique absolu se heurte à la Trinité, pour nous faire découvrir un Dieu qui est d’abord « relation », qui se communique, qui parle aux hommes.

Le Seigneur a parlé à Pierre et à Paul.

A Pierre, Jésus s’est révélé comme son maître par ses enseignements et, n’hésitant pas à dérouter cet apôtre, il s’est montré aussi comme son serviteur en lui lavant les pieds au moment de sa pâque. Il est allé jusqu’au plus intime du cœur de Pierre l’interrogeant par trois fois au bord du lac : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? »

A Paul, Jésus ressuscité est apparu sur le chemin de Damas, unique manifestation après l’Ascension. En s’identifiant aux frères persécutés (« C’est moi que tu persécutes, lui dit-il » – Ac 9,5), Jésus a révélé sa présence à Paul. L’apôtre a alors découvert que Jésus était non seulement dans les disciples mais qu’il était lui-même ces croyants.

Ainsi, en ce jour où nous célébrons, dans une même fête, les apôtres Pierre et Paul, il nous est révélé que le Seigneur vient aussi jusqu’à nous : dans la parole de l’Église, il nous parle, et dans la même intimité avec lui, vécue par Pierre au bord du lac ou par Paul sur le chemin d’Emmaüs, il nous parle et il nous appelle à le suivre et nous pourrons reprendre le psaume de ce jour :

« Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage » (Ps 33,6).