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26 février 2023 – 1er dimanche de carême

Le Carême, c’est quoi ? On peut parler des quarante jours qui nous préparent à Pâques, du jeûne, de la dernière étape de préparation pour les adultes qui recevront le baptême dans la nuit de Pâques. Tout ça est très juste.

Mais cette année, une phrase a retenu mon attention pour donner une réponse à la question, qu’est-ce que le Carême. Mercredi dernier, lors de la Messe des Cendres, la prière d’ouverture disait : « Accorde-nous Seigneur, de savoir commencer saintement par le jeûne l’entraînement au combat spirituel ».

Donc, le Carême, c’est quoi ? C’est l’entraînement au combat spirituel.

La première lecture et l’évangile de ce dimanche nous en parlent. Dans la première lecture, nous avons entendu comment le premier homme et la première femme ont désobéi à Dieu. Ils ont reçu des commandements de Dieu, de ce Dieu qui leur avait insufflé le souffle de vie. Dieu a donc donné la vie aux humains, il leur donne un monde formidable créé pour eux. Mais surgit ce serpent. D’où sort-il ? Comment se fait-il qu’il raconte tout ça sur Dieu ? Et d’ailleurs, un serpent, ça ne parle pas, pourquoi lui alors, oui ? Le texte ne nous en dit rien. Le mal demeure un mystère. Mais avec toutes ces insinuations infondées du serpent, nos deux premiers humains finissent par se dire qu’ils feraient peut-être bien de manger ce fameux fruit. Après tout, pour qui se prend ce Dieu qui veut nous asservir ?

Et plus rien n’est comme avant. Ils se rendent compte qu’ils sont nus, nous dit le texte, autrement dit, ils se rendent compte qu’ils se sont trompés de route – mais trop tard. Et Dieu les avait prévenus. Il savait pourquoi il le leur disait. D’ailleurs nous autres, combien de fois ne sommes-nous pas dans le regret après avoir fait quelque chose dont nous savions pertinemment que c’était la mauvaise route.

Dans ce genre de situation, nous ne menons pas un bon combat spirituel. À l’image du récit de la Genèse nous sommes dans une relation d’opposition avec Dieu. Une relation de concurrence, où Dieu est perçu comme un adversaire, quelqu’un qu’il faut combattre, quelqu’un qui veut arbitrairement se mêler de nos affaires et transformer notre vie en servitude. Mais rien ne justifie cette approche. Qu’il suffise de rappeler à quel point Dieu a créé un monde plein de douceur, de paix, de beauté, par pur amour désintéressé. Les insinuations du serpent ne reposent sur absolument rien. Mais reconnaissons-le, il nous arrive aussi de tomber dans ce piège et de voir dans notre relation à Dieu une concurrence entre lui et nous. Dans ce genre de situation, il est bien difficile de gagner le combat spirituel.

Jésus, lui, résiste aux tentations. Dans le fond, ce sont les mêmes que celles qu’ont connues Adam et Ève. Nous lisons chez Ratzinger que la tentation qui menace chaque être humain sous de multiples aspects, c’est : « Mettre de l’ordre dans le monde par soi-même, sans Dieu, ne compter que sur soi, n’admettre comme réelles que les réalités politiques et matérielles en écartant Dieu comme illusion[1] ». Évidemment, on pourrait dire que c’est normal que Jésus résiste à ces tentations, c’est le Fils de Dieu quand même ! Il n’allait pas mettre Dieu son Père de côté. On s’étonne d’ailleurs qu’il ait été tenté. Mais Dieu ne s’est pas contenté de créer le monde et de rester ensuite les bras croisés et de voir comment ses créatures allaient se débrouiller. Il ne veut pas rester au loin, encore moins entrer en concurrence, il veut entrer en alliance avec les hommes. Et pour cela, il a voulu devenir homme, et assumer pleinement notre condition jusqu’au bout – à la seule exception du péché. Jésus a donc aussi connu le combat spirituel, peut-être même plus violemment encore que nous, car en lui il n’y a aucune complaisance avec le péché. Le récit des tentations au désert nous en donne une certaine idée.

Les textes de ce jour nous présentent donc deux manières de vivre le combat spirituel : le vivre dans une relation de concurrence avec Dieu – comme Adam et Ève – ou bien le vivre dans une relation d’alliance avec Dieu – comme le propose le Christ. Et si nous profitions de ce Carême pour entrer plus profondément dans cette alliance ? Certes, nous le faisons en communiant, en recevant le sacrement de réconciliation, mais pourquoi pas en plus en nous laissant façonner par la Parole de Dieu. En lisant par exemple juste l’Évangile du jour, en le méditant, une, deux ou trois minutes. C’est pas beaucoup comparé à une journée entière où nous sommes accaparées par tant de choses qui se veulent si importantes et urgentes. Mais ce que Jésus dit à Satan vaut ô combien pour nous : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Où est donc passée notre Bible ? Sur une armoire en train de prendre la poussière ? Ouvrons-la ! Et laissons cette Parole porter du fruit et nous faire entrer plus profondément dans la relation d’alliance avec Dieu. Cela nous donnera des forces dans le combat spirituel que nous aurons à mener inévitablement. Car le Carême est vraiment là pour ça : nous entraîner au combat spirituel pour vraiment vivre de cette alliance que Dieu nous propose.

Je laisse la parole à saint Augustin pour conclure : « Tu remarques que le Christ a été tenté. Ne vois-tu pas qu’il est sorti victorieux du combat ? Par conséquent, si tu es, avec lui, soumis à l’épreuve, souviens-toi aussi qu’avec lui tu en triompheras. Il aurait pu empêcher l’esprit malin de s’approcher de lui ; mais s’il n’avait pas été tenté, il n’aurait pu t’apprendre à le suivre dans le chemin de la victoire[2] ».

Alors bon Carême, bonne route à la suite du Christ sur le chemin de la victoire, sur le chemin de la résurrection, sur le chemin vers Pâques.


[1] Joseph Ratzinger, Jésus de Nazareth, tome i, Paris, Flammarion, 2007, p. 48.

[2] Augustin d’Hippone, Sermon 60, 3, cité dans Jamie García, Lire l’Évangile de saint Matthieu à la lumière de saint Augustin, tome i, Paris, Les Éditions du Cerf, 2013, p. 91.