23 février 2025 – VIIè dimanche du temps ordinaire – année C
« Vous n’aurez pas ma haine » : c’est sous ce titre qu’avait circulé dans les media, une lettre écrite en novembre 2015 par un journaliste : Antoine Leiris. Trois jours auparavant, son épouse, mère de son fils, avait été assassinée lors de l’attentat au Bataclan : « Vous n’aurez pas ma haine. Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes » écrit-il aux terroristes.
Beaucoup ont été touchés par cette lettre, et on peut très bien comprendre son auteur (que nous gardons de juger personnellement)…mais il faut réaliser qu’aux chrétiens, Jésus demande davantage : Jésus n’a pas dit « Ne haïssez pas vos ennemis, car cela leur ferait trop plaisir »…. non Jésus a dit « Aimez vos ennemis » (Mt 5, 44).
« Aimez vos ennemis » : à première vue, cela semble non seulement impossible à vivre, mais tout simplement impossible à penser, absurde ; cela ne veut rien dire, car si on les aime, ce n’est plus des ennemis, et si ce sont des ennemis, on ne les aime pas !
- « Aimez vos ennemis », cela n’a aucun sens…à moins que l’ennemi ne soit pas celui que, nous, nous haïssons, mais celui qui nous hait.
Et nous avons malheureusement tous des personnes qui nous haïssent (ou du moins qui ne nous portent pas très haut dans leur cœur) pour de mauvaises ou, peut-être parfois, pour de bonnes raisons.
Aimer celui qui ne nous aime pas trop, c’est tout d’abord essayer de le comprendre, de se mettre à sa place, et voire même de lui vouloir du bien, de ne pas lui en vouloir de ne pas nous aimer.
Lui vouloir du bien, c’est aussi vouloir et faire notre possible pour qu’il se convertisse et ne soit pas toujours notre ennemi, car il ne se réduit pas à cela, à son inimitié.
Jésus sait bien que cela nous est difficile, et c’est pourquoi il conseille d’abord la prière : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ».
- « Aimez vos ennemis », cela n’a aucun sens…à moins qu’on établisse une différence entre ce que nous ressentons spontanément/ et ce qui peut être un acte de notre volonté.
Spontanément, c’est comme cela, il y a des personnes qu’on n’aime pas, qui ne nous attirent pas, qui nous ennuient dès qu’elles ouvrent la bouche, qui nous agacent dès qu’elles s’approchent de nous (nous en avons tous quelqu’un en tête…). Or « aimer », cela ne se réduit pas à ressentir spontanément une attirance ou une sympathie ; aimer, c’est aussi vouloir aimer. Aimer son ennemi, c’est peut-être aussi vouloir aimer celui que spontanément nous n’aimons pas.
Jésus sait bien que cela nous est difficile, et c’est pourquoi il le présente comme une grâce, un don de Dieu, à lui demander. Je peux vous dire d’expérience que, quand on demande sincèrement à Dieu de nous aider à aimer celui avec qui on a du mal, l’ennemi ne le reste pas longtemps !
- « Aimez vos ennemis », cela n’a aucun sens…à moins d’accepter qu’effectivement cela n’a aucun sens, que cela est impossible ; tout comme « tendre la joue droite quand on te frappe la joue gauche » (personne ne le fait !) ; tout comme « faire deux mille pas si on t’en demande mille ».
Dans la Bible, il arrive en effet que Dieu demande l’impossible, l’irréalisable : ici, aimer vos ennemis, tendre l’autre joue ; ailleurs, dans l’Ancien testament, repartager toutes les propriétés, tous les 50 ans, pour l’année du Jubilé (Lv 25).
Ces demandes de Dieu volontairement irréalisables, utopiques et donc provocatrices, ont pour but de nous faire comprendre que nous ne sommes jamais quittes, que nous n’en faisons jamais assez dans l’amour du prochain.
Ainsi celui qui, examinant sa vie, se dirait qu’il en fait assez pour son prochain, qu’il ne peut en faire davantage, celui-là est forcément remis en cause par le commandement de Jésus : « aimez vos ennemis ».
- « Aimez vos ennemis », cela n’a aucun sens…à moins que, renonçant à le comprendre abstraitement, nous regardions la vie de ceux qui n’ont pas fait qu’en parler (comme moi en ce moment…) mais qui ont vécu concrètement cet amour des ennemis.
Quand on regarde la vie de Maïti Girtanner, qui pendant des années a recherché son tortionnaire nazi… pour pouvoir lui pardonner ; « Même les bourreaux ont une âme » a-t-elle écrit.
Quand on regarde la vie de Sokreaksa Himm, cambodgien converti au Christ, qui pardonna aux Khmer rouges qui avait assassiné toute sa famille pendant des années a recherché son tortionnaire nazi… pour pouvoir lui pardonner : « Je devais trouver un moyen de leur pardonner, avant que l’amertume intérieure ne me détruise » témoigne-t-il.
Quand on regarde la vie de tant de martyrs qui ont pardonné à leurs persécuteurs. Quand surtout, on regarde le Christ, Jésus, qui mourant innocent en Croix, prie ainsi : « Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34).
Quand on regarde tout cela, on réalise qu’« aimer ses ennemis », finalement, cela a peut-être un sens.