Chanoines réguliers de Prémontré
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Déc
Écrit par f. Norbert

14 décembre 2025 – IIIe dimanche de l’Avent, Gaudete

« En prison, il n’y a rien à voir, rien à faire. (…) À l’image du désert, la vie intérieure se fortifie en prison. » Cette remarque est formulée par un détenu célèbre, numéro d’écrou 320 535 à la prison de la Santé à Paris. Un détenu libéré après seulement vingt-et-un jours de détention, et qui a raconté son expérience dans un livre publié cette semaine, le Journal d’un prisonnier. Au-delà des faits reprochés à cet ancien chef de l’État, au-delà de l’aubaine éditoriale, cette phrase m’interpelle : « À l’image du désert, la vie intérieure se fortifie en prison », écrit celui qui se serait même mis à genoux dans sa cellule pour prier. Frères et sœurs, nous célébrons aujourd’hui 14 décembre le jubilé des personnes détenues, sorte d’épilogue de l’année sainte dont je rappelle qu’elle sera close le 4 janvier prochain, pour l’Épiphanie. Au 1er octobre 2025, 84 862 personnes étaient derrière les barreaux en France ; elles sont environ onze millions dans le monde entier. Toutes ces personnes font l’expérience de l’enfermement et de la privation de liberté. Certaines d’entre elles font aussi l’expérience de la vie intérieure et du pardon. Aujourd’hui, la grâce du jubilé entre dans les prisons, et les personnes détenues sont au cœur de notre prière. La figure de Jean-Baptiste leur est offerte. Car c’est depuis la cellule de sa prison que Jean s’enquiert de l’identité de Jésus (« es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »), et c’est dans la cellule de sa prison que ses messagers lui apportent la Bonne nouvelle que Jésus est le Messie.

Quelle est-elle, cette Bonne nouvelle ? En fait, Jésus répond en deux fois. La première réponse est pour les disciples de Jean, qui partent la répéter à leur maître dans sa prison. La seconde réponse est pour ses propres disciples, à qui Jésus explique qui Jean-Baptiste était vraiment.

Aux disciples de Jean, Jésus témoigne de son activité : « Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. » Cette liste, prise dans le chapitre 61 du livre d’Isaïe, énumère toutes les œuvres qui devaient faire reconnaître celui qui aurait reçu l’onction, c’est-à-dire le Messie (en hébreu) ou le Christ (en grec). C’est d’ailleurs ce passage-là de l’Écriture que Jésus lit au début de son ministère à la synagogue de Nazareth, et c’est aussi ce que proclamait le psaume 145 que nous avons chanté tout à l’heure. En d’autres termes, Jésus dévoile son identité au moyen des Écritures, pour que Jean, enfermé dans sa prison, comprenne qu’il est le Messie attendu et espéré.

À ses propres disciples, Jésus précise la fonction de Jean : il est le précurseur, celui qui devait venir avant le Messie, celui dont la venue est annonciatrice d’une autre venue, il est « la voix avant le Verbe », comme dit notre Père saint Augustin. La prédication de Jean annonçait que la venue du Messie était imminente, c’est, comme le disait la première lecture, le désert qui fleurit comme la rose, c’est le pays aride qui se couvre de fleurs des champs. Saint Jacques disait la même chose dans la deuxième lecture, mais au moyen d’une autre image : c’est l’attente du cultivateur, qui sait que le printemps succède à l’hiver, et que son potager va donner des légumes et son verger des fruits. À ses propres disciples, Jésus fait comme pour les disciples de Jean : il cite les Écritures. « C’est de Jean qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer le chemin devant toi. » Cette fois-ci, Jésus ne cite pas le prophète Isaïe mais le prophète Malachie (Ml 3,1), le dernier livre de l’Ancien Testament.

Chers frères et sœurs, vous le constatez : l’évangile de Matthieu, que nous allons lire tout au long de cette année, fait constamment référence aux Écritures, aux livres de l’Ancien Testament. Pour comprendre pleinement l’évangile, il faut donc lire les Écritures et les connaître, car Jésus est le Messie qui les accomplit. C’est un défi qui nous est lancé à quelques jours de Noël : quelle est ma fréquentation des Écritures ? Elles m’aident à reconnaître le Messie qui va naître, elles me dirigent vers l’enfant de la crèche et m’invitent à lui rendre hommage, reconnaissant en lui mon Sauveur, celui qui me libère de mes chaînes. Car nous autres ne sommes pas emprisonnés, sans quoi nous ne serions pas là. Mais chacun de nous est entravé par ses prisons intérieures, dont le Sauveur veut nous libérer.

Les personnes détenues vivent parfois cette expérience d’une manière toute particulière. M’est revenu en mémoire un livre étonnant, intitulé Le fumeur de Bible[1]. C’est l’histoire de Wilhelm Buntz, ou plutôt c’est l’histoire de sa descente aux enfers. Né en 1954 à Ulm en Allemagne, Wilhelm Buntz a été rejeté par sa mère. Sous-alimenté, déshydraté et couverts de croûtes, il est soustrait à l’autorité maternelle par une assistante sociale, qui le place de foyer en foyer. Wilhelm devient un garçon violent, il est même surnommé Willy bain-de-sang. Adolescent, il vole une voiture, et quand un policier cherche à arrêter le véhicule, Wilhelm le tue froidement. Condamné, sa descente aux enfers continue : braquages, vols, trafics, bagarres, et j’en passe. Miné par la honte, son père demande même aux juges la peine de mort pour son fils. Le dernier fil qui le reliait encore au monde des humains est coupé. Il est condamné à la prison à perpétuité, et quand il s’agite, on l’envoie au cachot. Or, au cachot, il n’y a rien. Il n’y a qu’une Bible. Qu’à cela ne tienne, Wilhelm découpe méthodiquement une à une les pages de cette Bible et les utilise pour rouler ses cigarettes. Au bout de quelques centaines de pages – ou plutôt après quelques centaines de cigarettes – Wilhelm se dit qu’il va lire les pages avant de les fumer – après tout, ça tuera le temps. Et quand il arrive au Nouveau Testament, Wilhelm est renversé, estomaqué, bouleversé. Il comprend que les prophètes conduisent au Christ Jésus. Il découvre l’amour du Père pour lui, il comprend que le Fils s’est incarné pour le sauver, il réalise que les deux envoient leur Esprit de paix et de pardon sur sa vie. Une fois sorti de prison, Wilhelm Buntz a travaillé jusqu’à sa retraite dans l’aide sociale à l’enfance, il s’est marié, a eu deux garçons, et depuis il témoigne que Dieu l’a libéré de ses chaînes.

Puissent les personnes détenues faire l’expérience d’une telle libération. Puissions-nous être tous libérés de nos prisons intérieures, de nos enfermements, de nos chaînes. Viens, Seigneur, viens nous sauver.


[1] Wilhelm Buntz, Le fumeur de Bible, Éditions des Béatitudes, 2022.