12 octobre 2025 – XXVIIIe dimanche du temps ordinaire
Frères et sœurs, en rédigeant récemment quelques mots personnalisés à l’attention de nos bienfaiteurs, je me suis retrouvé confronté après les premières missives à un dilemme grammatical. Devais-je écrire « merci de votre générosité » ou « merci pour votre générosité » … un petit détour vers une page web des immortels de l’Académie Française m’a rassuré, les deux expressions sont valables. Cependant lorsque « merci » précède un verbe à l’infinitif il est toujours suivi de la préposition « de », par exemple : merci de m’écouter !
Non content d’être rassuré, je me suis demandé d’où venait le mot « merci ». En fait merci est à l’origine un nom féminin qui renvoie à l’idée d’un marché passé entre deux personnes puis à celle d’une faveur que l’on accorde à autrui en l’épargnant. Tout à fait synonyme alors d’une « grâce » qui en définitive ne peut être obtenue qu’en échange d’un bien mercantile. Tout bonnement parce que celui qui vous tenait à sa merci était aussi celui qui fixait le prix de votre liberté ! Cependant quand le mot « merci » est employé avec le masculin, il prend les sens de grâce et de pitié, adieu donc le marchandage et bienvenue à la charité. On trouve parfois un emploi ancien du mot merci que l’on traduit par miséricorde.
Si l’évangile d’aujourd’hui ne comporte pas explicitement le mot « merci », il en a toute la saveur. Avec ce Samaritain lépreux revenu sur ses pas, pour remercier le Christ de son action, nous sommes interpellés sur notre capacité à rendre grâce, sur les expressions concrètes de notre gratitude.
La situation est cocasse : dix lépreux implorent de loin le Christ pour leur guérison. Celui-ci leur demande comme le veut la tradition d’aller se montrer aux prêtres, et voilà qu’en chemin ils obtiennent la guérison. Mais un seul fait demi-tour pour rendre gloire à Dieu de sa guérison. Etonnement devant celui qui vient : un Samaritain, c’est-à-dire un païen. Mais pourquoi lui ? et non pas les 10 lépreux ? Certes tous sont guéris, mais lui a un petit plus ! Le Samaritain constate que sa guérison, sa purification va de pair avec la parole prononcée par Jésus, même si elle est prononcée de loin. Son intuition réside dans la concomitance d’un dire de Jésus et d’un fait qui se réalise. D’où son attitude, son retournement, comme une conversion pour aller vers celui dont il reconnaît la puissance et dont il chante les bienfaits.
La réponse de Jésus éclate « relève toi et va, ta foi t’a sauvé », ce « relève toi », sonne comme une résurrection, mets-toi debout en quelque sorte. Mais frères et sœurs, il y a un double effet, non seulement cet homme est guéri, mais de plus il est sauvé. Or si la guérison relève du thaumaturge, le salut quant à lui dépend bien de l’attitude de vérité de celui qui est guéri, c’est sa foi qui le sauve. Le Samaritain est le bénéficiaire mais aussi l’agent du salut qui le transforme.
Peut-être que la pointe de cet évangile est dans ces mots du Christ « Relève toi et va : ta foi t’a sauvé. ». Jésus s’adresse à celui qui n’est pas un bon juif, mais un Samaritain, un étranger, qui ne prie pas le Dieu d’Israël à Jérusalem, mais sur le mont Garizim. Atteint de la lèpre, il est mis au banc de la société en raison de sa maladie, mais Jésus lui attribue le mérite même de sa guérison « ta foi t’a sauvé. »
Jésus se présente à lui comme à tous comme le Messie pauvre, avec cette prédilection pour les pauvres car c’est en premier lieu à eux que s’adresse sa parole d’espérance et de libération, de guérison, là où personne ne doit se sentir abandonné pour que chacun entende cette parole de Jésus « Dilexit te », je t’ai aimé. Ce que nous rappelle l’exhortation apostolique du pape Léon XIV parue cette semaine.
Cette pauvreté nous manque, frères et sœurs, nous nous croyons riches, mais nous sommes pauvres, pauvres parce que dépendants et nous ne savons pas le reconnaître dans une parole de gratitude comme un simple merci. La foi, est cet élan de gratitude, de reconnaissance envers celui qui est à l’origine et au terme de toute chose. La foi ne nous donne-t-elle pas de vivre dans le monde tel qu’il est et non tel que je le rêve ? Vivre sa foi, n’est-ce pas vivre dans la gratitude, dans la reconnaissance de toutes ces petites choses qui semblent n’être pas grand-chose. Mais qui au quotidien semblent passer comme inaperçues et qui en fait rabaissent nos instincts et nos prétentions.
Une gratitude à l’égard du Seigneur certes, mais qui devrait se manifester à l’égard de nos frères et sœurs. Ne sommes-nous pas parfois ingrats au point de croire que tout nous est acquis. Nous manquons de remercier autour de nous pour les bienfaits que ceux qui nous entourent nous apportent dans nos vies. Nous pouvons nous appesantir sur ce qui va mal, sur ceux dont nous pensons qu’ils nous font du mal… mais nous pouvons aussi rendre grâce pour les bonnes et belles choses pour les bonnes et belles personnes qui nous font du bien chaque jour. Est-ce que nous prenons le temps de prier pour eux ? de trouver une manière de les remercier d’une façon ou d’une autre ? Avons-nous fait célébrer une messe d’action de grâce récemment ?
Célébrer l’eucharistie dominicale c’est vraiment reconnaître l’œuvre de Dieu qui s’accomplie en nous, parmi nous, autour de nous. C’est rendre grâce pour tous ces signes à travers lesquels le Seigneur s’est manifesté près de nous. Entrer dans la louange, dans la gratitude, dans l’action de grâce, c’est quitter une terre ancienne, un territoire indécis, déserté de présence, pour entrer dans une terre nouvelle, une Terre Sainte, une Jérusalem nouvelle, là où je LE trouve, où je ME trouve dans la liberté de l’Esprit répondant à SA Présence.