12 mars 2023 – IIIè dimanche de Carême
Frères et sœurs avouez tout de même qu’il était bien bon ce matin de faire une petite grâce matinée… enfin oui je sais, pas pour tout le monde…peut être que ce sera une petite sieste après un repas dominical…quoi qu’il en soit nous en faisons tous l’expérience, une vie sans repos est une vie irréelle. Sans nier la place du besoin physiologique des corps au repos pour reprendre force et vitalité, le repos qui suppose une qualité d’abandon (au sommeil ou à la non-activité) est aussi une expérience spirituelle de dé-maîtrise, de liberté et de recueillement en soi et hors de soi. Toute l’Ecriture sainte nous enjoint au repos, au sabbat comme l’a fait le Créateur lui-même au septième jour, pour admirer tout ce qui existe. La tradition chrétienne elle-même porte en son fond les paroles de notre Père Saint Augustin comme la visée de toute vie baptismale notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi[1].
Saint Jean nous donne de contempler Jésus fatigué par sa marche à travers la Samarie, assis près du puits de Jacob, à la sixième heure. Cette heure la plus crue, du plein midi, l’heure de la fatigue, de la solitude et de la soif. Mais cette sixième heure sera aussi celle d’une fatigue d’un autre ordre, à la sixième heure, Jésus est assis mais au tribunal devant Pilate. Cette sixième heure et cette fatigue viennent annoncer et anticiper la fatigue de Jésus en sa Passion et donne sens à la rencontre avec la Samaritaine, la rencontre du Salut. On voudrait ne pas aimer cette heure, or elle contient en elle le don de la joie, de cette joie que l’on reçoit en héritage. Tout comme plus loin dans le texte Jésus mentionne les moissonneurs qui récoltent le fruit du labeur, de la fatigue de leurs prédécesseurs. Ainsi l’œuvre du Salut donne à tous les hommes de recevoir gratuitement la vie. C’est peut-être là le vrai repos. Car remarquez qu’entre le début et la fin du récit, Jésus ne s’est pas refait il n’a eu ni eau ni nourriture. Et pourtant il dit lui-même qu’il est rassasié : « ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre ». Pour lui et pour nous si nous le suivons, là est le repos dans cet accomplissement, se laisser conduire par un Autre vers la vraie vie, renoncer à notre volonté propre, être en quelque sorte délivrés de l’obligation de devoir conduire seuls notre propre vie.
[d’un côté Jésus qui arrive au puit et de son côté la samaritaine qui arrive elle aussi au puit]
La Samaritaine quant à elle alors qu’elle arrive au puit est fatiguée elle aussi, fatiguée de sa vie, fatiguée de ses résistances, Elle ne pourra entrer dans un repos qu’après un véritable travail, un vrai labeur. Elle arrive à l’heure des solitaires, elle n’a besoin de rien sinon d’eau, ni de personne, elle est debout, affairée, soucieuse. Elle est seule et va seule sur le chemin de la vie. Or le puits dans l’histoire biblique, c’est le lieu des rencontres celle du serviteur d’Abraham et Rebecca mais aussi celui de la demande en mariage de Jacob et Rachel.
Alors qu’elle n’espère plus, voilà qu’un juif entrave son action. L’un et l’autre n’ignorent pas les conventions qui empêchent un juif d’adresser la parole à une samaritaine. Cet homme est une menace pour elle, en répondant, elle va perdre son étoffe de Samaritaine en étant amenée à dévoiler son identité intérieure, il semble si bien la connaître.
La demande centrale porte sur de l’eau pour étancher une soif « donne-moi à boire »… mais voilà que les rôles s’inverse, celui qui a demandé en fin de compte donne à boire, celle qui aurait pu donner de l’eau reçoit « l’eau vive ». Jésus conduit le dialogue, conduit celle qui est fatiguée au plein soleil du jour, au plein midi de sa vie, fatiguée de ses erreurs, assoiffée d’être près des eaux du repos, menée vers les eaux tranquilles. Intriguée elle laisse passer un filet de lumière dans les ténèbres de sa carapace, elle entre dans le dialogue.
Cette eau dont il est question est bien particulière car elle ne se prend pas à pleine main ou ne se peut être contenue dans une cruche, mais elle se reçoit en un jaillissement remontant d’elle-même à la surface et demandant à être accueillie. Cette eau ne se voit qu’avec les yeux de l’intériorité et les yeux de la foi.
Petit à petit l’intérêt s’éveille chez la Samaritaine, comme s’éveille un désir qui sourd en elle, dont elle ne connaît pas encore la fraîcheur. Elle se tient comme à la margelle de sa source intérieure : sa demande et presque aboutie « afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser », demande légèrement imparfaite. Le vrai repos pour elle jaillit d’une intériorité retrouvée, comme perce une source intérieure trop longtemps contenue.
Jésus continue, poursuit le travail intérieur chez cette femme afin qu’elle se réconcilie avec son histoire et sa soif d’amour « je n’ai pas de mari », « mais tu en as eu cinq » répond Jésus qui ajoute « et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ». En acquiesçant, non seulement elle reconnait la vérité dans les propos de Jésus, mais elle confesse en même temps le vide de sa vie, son errance, sa recherche éperdue et jamais comblée, elle avoue sa soif et sa fatigue, épuisée en vain dans sa quête.
Le repos durable, notre repos vrai, ne va pas sans une réconciliation avec notre propre histoire, sans une unification progressive de notre être devant les évènements épars de notre vie.
La Samaritaine interpellée par le questionnement de Jésus faisant la vérité sur elle-même est conduite petit à petit à s’interroger sur le vrai culte à rendre à Dieu, à moins de le comprendre comme connaissance de soi et connaissance de la bonté de Dieu pour nous.
Face à la fatigue de soi, le repos ne serait-il pas dans la juste connaissance de soi, portée par la connaissance de la bonté de Dieu ?
En ce temps de carême, frères et sœurs, retrouvons, retournons à la source qui coule en nous, rencontrons à nouveau la bonté de Dieu dans nos vies et confessons Jésus comme le Christ, le Messie, celui qui nous offre le Salut. Reposons nous en lui et offrons-lui nos actions de grâce.
[1] Les confessions I