23 novembre 2025 – Solennité du Christ, Roi de l’univers
En voyant le Fils de Dieu cloué sur la croix, le Diable, le Démon, ne savait pas s’il devait se réjouir, moqueur, ou fulminer, rageur. « Ah bah voilà, pensait-il, voilà la dernière heure arrivée, voilà peut-être, enfin, l’heure de mon triomphe ! Je l’attendais depuis longtemps, cette heure où je serai enfin victorieux ! Je me suis déjà frotté à Jésus, mais j’avais perdu la bataille. Il venait de passer quarante jours au désert sans manger et boire, et je m’étais approché de lui. Séducteur, je lui susurrais à l’oreille des paroles pour le détourner de la mission que son Père lui avait confiée. Mais il avait trouvé la parade. Alors je m’étais enfui. Pour ma plus grande honte, l’évangéliste Luc a écrit dans son Évangile comment j’avais perdu l’affrontement : “Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé”. Et voilà enfin le moment fixé, l’heure que j’attendais. Si seulement je pouvais détourner le Fils de Dieu de sa mission de Sauveur du monde, alors le monde entier saurait ! Un Sauveur qui ne sauve pas devient une supercherie, une vaste blague ; un Dieu qui se détourne de ses créatures devient un mythe, une fable. Le Fils de Dieu avait bien répondu, l’autre fois, au désert. Je m’étais éloigné jusqu’au moment fixé… Et voilà enfin l’heure ! Alors, à nouveau, en cette heure dernière, je veux le détourner de sa mission.
Je me rappelle, au désert, Jésus avait faim ; après 40 jours, c’était légitime. En changeant les pierres en pain, il se serait à juste titre consolé de sa faim. Mais il démasqua ma supercherie. Aujourd’hui, il est sur la croix. Je susurre aux oreilles de chefs de le tourner en dérision : “Qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu !” La moquerie blesse n’importe quel homme. Vouloir en être consolé est légitime. En descendant de la croix, ce Jésus se consolerait à juste titre des railleries en rabaissant le caquet de ces chefs. Mais non, il ne répond rien ! »
Le Diable commence à fulminer. Il continue d’observer la scène qui se déroule, là, sur le Golgotha. « Je me souviens bien du désert, continue-t-il de penser. Je lui ai montré tous les royaumes de la terre. Il aurait pu recevoir le pouvoir ! En ployant le genou, même brièvement, devant moi, il aurait reçu la royauté de tous ces peuples. Mais il démasqua à nouveau ma supercherie. Aujourd’hui, il est sur la croix. Je susurre aux oreilles des soldats de le provoquer : “Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même !” Vas-y, Jésus… Montre-leur ton pouvoir, si tu es leur roi ! Mais non, il ne répond rien. Pourquoi ? »
Le Diable enrage de plus belle ! Mais il lui reste encore l’estocade finale, la plus perverse ! « L’autre fois, au désert, je l’ai conduit sur le temple de Jérusalem. En lui proposant de se jeter en bas pour que des anges viennent le retenir, je voulais l’obliger à mettre sa divinité à son propre service. Si seulement j’avais pu détourner Dieu d’être Dieu ! Mais il démasqua ma supercherie. Aujourd’hui, en cette heure dernière, je pourrais sans doute, enfin, détourner le Sauveur d’être sauveur ! Je susurre aux oreilles du malfaiteur crucifié à ses côtés de faire jouer la corde sensible : “N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi !” ». Le Diable est pris ici d’un rire sarcastique : « Quelle perversion… Je me déteste, tellement je suis malhonnête ! Comment Jésus pourrait-il résister à l’appel d’un malheureux en détresse qui, en plus, le reconnaît comme le Christ, le Messie de Dieu ? Alors, vas-y, Jésus, montre à tous ta divinité ! Descends de cette croix ! Comment pourrais-tu fermer tes oreilles à l’appel d’un homme qui te dit “sauve-moi, sauve-moi avec toi” ? Mais, en fait, Jésus, sauve-toi d’abord… Vas-y, montre à tous ton pouvoir et ta gloire… montre à tous que tu veux te sauver toi-même, sous couvert de sauver un malfaiteur ! »
Le Diable veut encore y croire, si l’on peut dire… Au désert, il avait épuisé toutes les formes de tentation, et attendait le moment fixé. À l’heure de la croix, il a à nouveau cherché à tenter Dieu. Mais Dieu est Dieu, Il n’est ni fable, ni mythe : le Sauveur est le Sauveur, Il n’est ni supercherie, ni vaste blague. Alors le Diable assiste, défait, au salut de l’humanité entière. Le Crucifié s’adresse au malfaiteur repenti. Les mots que le Diable entend le brûlent jusqu’au plus profond, car ces mots sanctionnent définitivement sa défaite : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ». Jusqu’au bout, le Sauveur sauve les hommes. Il ouvre les portes du Royaume à la création rachetée. Par son œuvre de salut sur la croix, le Fils bien-aimé du Père accomplit sa mission, le Roi de l’univers sauve tous ceux que lui a confiés le Père. « Nous arrachant au pouvoir des ténèbres, il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé : en lui nous avons la rédemption, le pardon des péchés ».
Une homélie s’achève… que restera-t-il ? Elle a été un peu originale. Sans doute faudra-t-il l’oublier. Il n’est pas utile de se souvenir des mots d’un récit imagé qui faisait parler le diable. Une fois oubliés les mots inventés, restera-t-il quelque chose ? Oui ! Il restera les mots de la Parole même de Dieu. Ils ne sont pas sortis de fruit de l’imagination de je-ne-sais-quel prédicateur. Ces mots sont solides comme un roc ; c’est sur ceux-là qu’une vie chrétienne peut être bâtie. Ces mots, qu’ils restent dans votre mémoire : « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ». Car ces mots, en fin de compte, nous obligent. À contempler le Sauveur qui sauve le monde ; et à agir sur cette terre pour nous entendre dire, au soir de notre vie, « viens, serviteur fidèle pour qui j’ai versé mon sang, viens, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis ». C’est aujourd’hui l’heure du Christ, Roi de l’univers. Un Roi bafoué, humilié, crucifié ; un Roi Sauveur, ressuscité. Qu’il nous accueille dans son Royaume, lui qui vit et règne pour les siècles.