9 novembre 2025 – Fête de la dédicace de la basilique du Latran
À ma gauche derrière moi, dans le bras sud du transept de notre église abbatiale, se trouve un immense tableau représentant la scène que nous venons d’entendre : Jésus chassant les marchands du Temple.
On y voit Jésus au milieu brandissant d’un bras puissant un fouet de corde ; on y voit les tables des changeurs renversées, l’argent répandu par terre, et les marchands se précipitant pour le ramasser ; on y voit les colombes, les moutons et les bœufs s’enfuirent dans la pagaille.
Mais un détail frappe le spectateur : Jésus, au milieu, semble à la fois en colère, le fouet à la main… et doux, le visage calme enveloppé de lumière. Jésus en douce colère. Comment comprendre cette douce colère que Jésus éprouve alors, cette douce colère qui devrait parfois habiter nos vies ?
- « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »
En chassant les marchands du Temple de Jérusalem, Jésus manifeste cette douce colère, une colère mue par l’amour :
– l’amour de la maison de Dieu, l’amour de Dieu : « L’amour de ta maison fera mon tourment »
– l’amour aussi de ces hommes qui se fourvoient, qui font de la relation à Dieu un « commerce » ;
– ces hommes que Jésus chasse du Temple, Jésus les aime en effet au point de bientôt donner sa vie pour eux, pour chacun d’eux, dans une mort qu’il annonce lui-même : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Il les aime au point de donner sa vie pour eux, il les aime au point de ne pas supporter leur perte.
- « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »
Cette colère douce, mue par l’amour de Dieu et l’amour du prochain ; cette colère de celui qui ne supporte que se perdent ceux qu’il aime, cette juste colère chrétienne, c’est aussi celle qui habite parfois les pasteurs de l’Église et le premier d’entre eux, l’évêque de la cathédrale du Latran dont nous célébrons la dédicace aujourd’hui, le pape.
Certaines déclarations du pape sont parfois mal comprises, discutées, critiquées… (je pense au précédent pape, mais cela ne tardera pas à arriver avec le nouveau !).
Mais comment ne pas éprouver comme lui une douce colère, une colère mue par l’amour, quand certains divisent l’Église pour des questions liturgiques ? Comment ne pas être en colère devant ceux qui oublie que les pauvres sont l’objet d’un amour préférentiel de Dieu (Dilexi te) que les chrétiens doivent partager ? Comment ne pas être en colère quand notre société méprise la vie fragile, naissante ou finissante, ce « sanctuaire de Dieu » (1 Co 3) ?
À la suite du Christ, c’est aussi le rôle du pape de nous rappeler parfois qu’il y des sujets sur lesquels on ne peut faire de compromis, de commerces…
- « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »
Cette douce colère, cette colère mue par l’amour devrait aussi nous habiter quand nous voyons notre frère, notre sœur s’égarer.
Comme le Christ, nous sommes responsables de ceux que nous aimons ; comme le Christ, nous devons les « corriger », c’est-à-dire littéralement les aider à revenir dans le droit chemin.
Nous avons souvent du mal à vivre la correction fraternelle, prétextant que cela ne relève pas de nous, que cela ne nous regarde pas, que l’autre est libre. Mais, insiste saint Augustin, est-ce là de l’amour ? N’est-ce pas du mépris ? Ainsi rappelle-t-il dans sa Règle :
Vous n’êtes certainement pas plus innocents, si, capables de corriger vos frères en les signalant, vous les laissez périr en vous taisant. Car si ton frère souffrait, en son corps, d’une plaie qu’il voudrait cacher par crainte d’avoir à subir des soins, ne serait-il pas cruel de ta part de t’en taire et miséricordieux de le divulguer ? Combien plus grand est donc ton devoir de le dénoncer pour éviter une pourriture plus néfaste : celle du cœur ?
[…] Les fautes de ton frère, il faut les découvrir, les écarter, les dénoncer, les prouver et les punir, tout cela inspiré par l’amour des personnes et la haine des péchés.
Dans quelques instants, nous allons communier au corps du Christ, nous allons recevoir celui qui donna sa vie par amour pour tout homme :
– voilà ce qui fonde la valeur de chaque homme : le Christ s’est donné pour lui ;
– voilà ce qui justifie qu’on ne puisse le laisser se perdre ; voilà qui nous invite à la correction, à une douce colère.
– et si nous n’avons pas toujours le courage de la correction, prions du moins pour la conversion de ceux qui se perdent, pour notre propre conversion.