17 août 2025 – XXe dimanche du temps ordinaire
Dénombrez avec moi, comptez avec moi : le père, le fils, la mère, la fille, la belle-mère, la belle-fille : 6, cela fait une famille de 6 personnes et pourtant Jésus vient de nous parler d’une famille de 5 personnes, et Jésus sait compter. Bien-sûr, vous avez deviné, comme le remarquait déjà saint Ambroise de Milan que « cette famille a 5 personnes alors que 6 sont nommées, car on peut identifier la mère et la belle-mère, car celle qui est la mère d’un fils est la belle-mère de l’épouse de son fils[1] ».
Mais pourquoi Jésus, pour décrire les conséquences de sa venue/pour manifester l’agir dans nos vies du glaive de la Parole et du feu de l’Esprit saint, pourquoi Jésus parle-t-il précisément d’une famille de 5 personnes ? Pourquoi 5 personnes et pas 3 ou 7, 10 ou 12 personnes ?
Peut-être parce que ces 5 personnes sont peut-être l’image des relations que le feu envoyé par Jésus (c’est-à-dire l’Esprit saint) vient transformer, vient diviser pour réunir, vient distinguer pour unir : la relation aux autres …/ la relation à Dieu …/ la relation à soi-même.
« Désormais cinq personnes de la même famille seront divisées » :ces 5 personnes sont tout d’abord le symbole de l’ensemble des relations humaines que l’action de l’Esprit saint vient transformer.
C’est le sens le plus évident, car dans ces 5 personnes sont ainsi résumées toutes les relations humaines, relations de filiation (parents et enfants) et relations d’alliance (époux et épouses… et beaux-parents).
Or, de fait, l’annonce de la Parole de Dieu, l’accueil de l’action de l’Esprit saint en nous peut provoquer des divisions dans les familles, des dissensions avec les proches ; mais ce n’est bien-sûr qu’une conséquence indirecte, non voulue en soi ; conséquence du respect de la liberté pour autrui d’acquiescer ou non à notre foi.
Cette division n’est cependant, dans notre espérance, qu’un chemin vers une union retrouvée, vers une nouvelle unité : c’est souvent le cas, lorsqu’une vocation religieuse naît dans une famille : cela peut susciter incompréhensions, parfois oppositions… pour souvent permettre ensuite une relation renouvelée. Car le but de l’action de Dieu, de la venue du Christ, c’est bien l’union et non la division : vous savez peut-être que les derniers mots du livre de Malachie, le dernier livre des prophètes, le dernier livre de l’Ancien testament, l’ultime espérance avant le venue du Christ, sont : « il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et des fils vers leurs pères » (Ml 3, 24).
Ce renouvellement des relations aux autres, c’est un premier fruit de l’action de l’Esprit saint, qui répand la charité dans nos cœurs (Rm 5, 5) et nous permet de pouvoir aimer les autres gratuitement, librement, universellement… nous qui spontanément sommes souvent égoïstes et centrés sur nous.
« Désormais cinq personnes de la même famille seront divisées » : ces 5 personnes sont aussi le symbole de la relation de l’homme à son Dieu dans l’histoire, relation que l’action de l’Esprit saint vient transformer.
Cette famille divisée, c’est en effet un condensé de querelles de générations, d’oppositions entre les jeunes et les vieux, entre le Nouveau et l’Ancien : le jeune fils s’oppose à son vieux père, la jeune fille à sa vieille mère, la jeune belle-fille à sa vielle belle-mère (il paraît que cela arrive…).
Voilà justement la deuxième relation que le feu de l’Esprit saint vient transformer : la relation à Dieu, passant de l’Ancien Testament au Nouveau Testament. Le Nouveau s’oppose à l’Ancien, car il s’agit de deux façons de concevoir à la relation à Dieu, comme le résume Notre Père saint Augustin :
« La différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament apparaît donc en ceci : dans l’un, la Loi est gravée sur des tables, dans l’autre elle l’est dans les cœurs ; de sorte que dans l’un, elle effraye de l’extérieur, dans l’autre elle fait les délices de l’homme intérieur ; [Dieu ne se contente donc pas de faire] retentir de l’extérieur ses préceptes de justice à nos oreilles, mais il fait progresser l’homme intérieur en répandant » l’amour dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous est donné » (Rm 5,5)[2] ».
Le feu de l’Esprit saint vient transformer notre relation à Dieu, en nous faisant passer (et cela dure toute notre vie) de l’Ancien au Nouveau Testament, d’une relation d’obéissance extérieure à ce que Dieu dit de faire, à une relation de transformation intérieure, par laquelle Dieu nous fait aimer le bien à faire, par laquelle Dieu nous fait aimer Dieu.
« Désormais cinq personnes de la même famille seront divisées » :ces 5 personnes sont enfin le symbole de la relation à soi-même que l’Esprit saint vient transformer. Ce chiffre 5 peut en effet être compris comme l’image de la famille, de la maisonnée que nous sommes chacun pour nous-mêmes. Comme le note saint Ambroise (reprenant Origène), « cette famille, cette maison unique, c’est l’homme en son unité ». Dans cette maisonnée, il y a les 5 sens comme 5 membres de la famille ; il y a le corps et l’âme (= 2) et les 3 dispositions de l’âme : « raisonnable, concupiscible, irascible[3] ».
Même si nous sommes aujourd’hui peu sensibles à ce type de symbolisme, nous devons bien admettre que l’action de Dieu en nous par son Esprit saint vient transformer ce que nous sommes, vient diviser pour mieux unir les différentes capacités de notre personne.
Quand on se laisse transformer par le feu de l’Esprit saint, on ne peut plus être esclave de ses sens, on ne peut plus se laisser dominer par l’immédiateté des émotions.
Quand on se laisse transformer par le feu de l’Esprit saint, on est conduit à mieux vivre la relation la plus difficile qui soit : la relation à soi-même. La charité répandue dans nos cœurs nous mène à l’amour le plus exigeant : l’amour de soi.
Cette famille de 5, enflammée du feu envoyé par Jésus-Christ, c’est donc peut-être une annonce de toutes nos relations que l’Esprit saint vient transformer :
– nos relations aux autres… pour qu’elles soient plus gratuites ; – notre relation à Dieu… pour qu’elle soit plus intérieure ; – notre relation à nous-mêmes… pour qu’elle soit plus aimante. Disposons-nous donc à recevoir tout cela en cette eucharistie, qui nous procure charité et unité, qui nous unit avec Dieu et tous les hommes, dans cette grande famille humaine, si nombreuse qu’on ne pourrait la dénombrer !
[1] Saint Ambroise de Milan, Homélies sur l’Évangile de Luc, 7, 137.
[2] Saint Augustin d’Hippone, De Spiritu et littera, XXV, 42.
[3] Saint Ambroise de Milan, Homélies sur l’Évangile de Luc, 7, 139-140.