19 avril 2025 – Vigile Pascale
Un mot m’a frappé, dans cet Evangile : le Vivant. Désormais, c’est ainsi qu’est nommé Jésus. Le Vivant, c’est lui ! C’est une véritable révélation de qui est Jésus, de qui est Dieu. Au matin de Pâques, les saintes femmes vont faire tout un chemin spirituel sur lequel elles nous précèdent. On peut en distinguer trois étapes : ce monde de mort où elles se trouvent encore, l’invitation à faire mémoire des paroles de Jésus pour comprendre le sens de sa mort et enfin ce monde de la Vie où elles sont entraînées, et nous avec elle. Suivons-les en reprenant la trame du récit de saint Luc.
Après le repos du sabbat, vient l’activité du premier jour de la semaine, le quotidien reprend son cours, répétitif, sans nouveauté à attendre. A la pointe de l’aurore, les femmes, dont pour l’instant on ne dit pas le nom, se rendirent au tombeau, portant les aromates qu’elles avaient préparés. Mais les activités humaines sont peu de choses en face de l’œuvre de Dieu. Et rien ne se passe comme prévu. Les femmes trouvent ce qu’elles ne s’attendaient pas à trouver, le tombeau ouvert, et ce qu’elles s’attendaient à trouver, la dépouille mortelle de Jésus, elles ne la trouvent pas ! Cet inattendu est déjà frappant. Les femmes sont désemparées. Si surprenante soit-elle, cette perplexité n’est pourtant qu’un préambule. Et voici que deux hommes se tinrent devant elles en habit éblouissant. La lumière éclatante, astrale, comme l’éclair, manifeste que ces deux hommes sont en réalité des anges et les femmes ne s’y trompent pas, saisies de crainte devant une manifestation divine, elles gardent le visage incliné vers le sol, en signe de vénération. Vient alors la parole de témoignage de ces deux messagers : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? »
Frères et sœurs, arrêtons-nous un instant, dans le cours de ce récit de Pâques, à cette question. Le Vivant, c’est lui ! Parce qu’il est le Vivant, lui le Fils de Dieu fait homme, il vient nous révéler que nous sommes faits pour la vie. Comme le disait saint Jean-Paul II, « l’homme, l’homme vivant, constitue la route première et fondamentale de l’Eglise » (Redemptor hominis, 14). Et dans la lumière du Vivant, nous prenons davantage conscience des chemins de morts dans lesquels l’humanité s’engouffre tout particulièrement aujourd’hui. Quand sommes-nous parmi les morts ? Quand nous, notre société, nous nous prenons pour Dieu, maître de l’origine et du terme absolu de la vie, de la nôtre et de celle des autres. Le rejet de Dieu entraîne le rejet de la Vie. Quand l’être humain se prend pour Dieu, il fait de lui-même une idole, mais les idoles n’ont pas la vie en elles-mêmes. Je suis frappé par cette mort qui rode dans notre société, dans des domaines aussi différents que ce qui concerne l’origine et la fin de la vie, l’avenir de la création, mais aussi par exemple la légèreté avec laquelle certains sont prêts à la guerre, surtout si ce sont les autres qui la font. Dans tous les cas, les plus faibles humainement, économiquement, politiquement, sont écrasés. Nous avons entendu ce texte si émouvant de Baruch. Il plaint Israël « souillé par le contact des cadavres, inscrit parmi les habitants du séjour des morts » tandis que « si tu avais suivi les chemins de Dieu, tu vivrais dans la paix pour toujours. » (Ba 3, 11.13) Ne cherchons pas le Vivant parmi les morts !
Et pourtant, le Christ est passé par la mort. La mort a-t-elle un lien malgré tout avec la vie ? Revenons au cours du récit. Que disent les anges aux saintes femmes ? De faire mémoire des paroles de Jésus : Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée : « il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite ». Et les femmes se souviennent. Et nous aussi, lecteurs des Evangiles, nous avons entendu les annonces de la Passion dans la bouche de Jésus, au moins à trois reprises. Le présent de la Résurrection n’efface pas le passé de la mort sur la Croix, mais il en accomplit les promesses : « ne fallait-il pas que le Messie souffrit tout cela et qu’il entra dans sa Gloire ? » demandera Jésus aux pèlerins d’Emmaüs. Les femmes se souviennent. La Vie n’est pas un concept éthéré qui plane au-dessus des épreuves humaines. La Vie n’est pas un slogan qu’on peut facilement lancer à la face de ceux qui souffrent. Le Vivant est passé par la mort et c’est ainsi qu’il a fait jaillir la Vie. Bien des catéchumènes qui reçoivent le baptême en cette nuit de Pâques témoignent qu’ils ont rencontré avec le Christ un chemin de vie, qui les a sortis de la nuit et des souffrances, qui leur a redonné espérance, dans des situations d’échec et d’angoisse. Le lien entre la mort et la vie, c’est l’amour du Christ, qui a porté sur lui notre mort, pour nous donner la vie. Le Vivant porte à jamais en lui les marques de sa Passion. L’amour seul donne sens à la mort du Christ, à ce « il fallait » qu’il avait annoncé.
Vient alors cette dernière étape : passer à notre tour de la mort à la vie, entrer dans la Vie. C’est en accueillant l’amour du Christ que les saintes femmes ont fait le passage, la Pâque.
Faisant mémoire de la parole de Jésus, les femmes en effet repartent du tombeau pour témoigner à leur tour, comme les anges, de l’incroyable nouvelle du Vivant. Elles deviennent témoin, et c’est alors qu’elles sortent de l’anonymat, comme le baptême qui donne un nom nouveau : c’étaient Marie Madeleine, Jeanne, et Marie mère de Jacques, nous dit saint Luc. Témoins improbables d’un événement incroyable, l’amour est plus fort que la mort. Témoins fragiles, peu crédibles aux yeux du monde, mais que Dieu choisit pour manifester sa force dans la faiblesse. Témoins à qui les Apôtres eux-mêmes n’accordent pas foi : « ces propos leur semblèrent délirants » ! « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ». Cette lenteur à croire et à aimer n’est-elle pas cependant, pour nous, un encouragement ? La résurrection est un tel bouleversement qu’il faut du temps pour passer du doute à la foi. Si ce chemin fut long pour les saintes femmes, s’il fut chaotique également pour Pierre et les autres apôtres, faut-il s’étonner que nous soyons, comme les disciples d’Emmaüs, lents à croire, lents à aimer ? Lents à accueillir pleinement le Vivant dans nos vies ?
C’est pourquoi, en cette nuit sainte, nous allons renouveler les promesses baptismales, nous allons redire notre décision de croire, de nous laisser rejoindre par le Vivant, afin qu’il nous fasse quitter tout ce qui nous maintient encore dans la mort du péché. Saint Paul nous l’a rappelé : « Pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus-Christ ».
En vérité, ce n’est pas la force des puissants qui gouverne le monde, mais c’est l’amour, l’amour qui a sa source en Celui qui est le Vivant. Amen !
Fr François-Marie