Chanoines réguliers de Prémontré
24
Avr
Conversion de notre Père saint Augustin
Écrit par F. François-Marie

9 avril 2023 – Dimanche de Pâques

On reconnaît l’arbre à ses fruits. Aujourd’hui, l’arbre de la Croix, l’arbre de la souffrance du juste innocent qui a livré sa vie pour ses amis, l’arbre du grand prêtre qui s’est offert pour le pardon des péchés du monde entier, cet arbre a porté son fruit. Le Christ est ressuscité d’entre les morts. « Le Maître de la vie mourut, vivant, il règne. »

Quel arbre aujourd’hui porte-t-il un tel fruit ? On reconnaît l’arbre à ses fruits. Notre société, notre économie, notre politique portent-ils des fruits tellement enviables, qu’on pourrait les préférer à l’arbre de la Croix ? Il semble plutôt que leurs fruits soient amers. Cueillons donc de ce fruit de la Croix, il n’est pas le fruit défendu du jardin de la Genèse, il en est bien plutôt le remède qui nous ouvre à une vie toujours nouvelle. Qu’est-ce qui nous fait encore hésiter, ce matin. Nous n’allons pas nous contenter de quelques miettes, mais nous nourrir abondamment du pain de Vie, le Christ notre Pâques, l’Agneau pascal.

Vous pensez peut-être : oui, mais la résurrection est l’affaire des croyants et moi, je reste sceptique, j’ai des doutes. Devant le tombeau vide aussi, les apôtres eurent des doutes, et même lorsque Jésus se donna à voir, vivant, après sa résurrection, certains doutèrent, disent unanimement les quatre évangiles. Pourtant, Pierre proclame solennellement chez le centurion de l’armée romaine, à Césarée : « nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts ». Si les disciples avaient voulu inventer une histoire de résurrection, ils n’auraient pas laissé de place au doute des apôtres eux-mêmes. Ils n’auraient pas non plus pris comme point de départ du témoignage de la résurrection un témoin le plus improbable qui soit, et sans valeur aucune dans l’esprit de l’époque, à savoir Marie Madeleine, une femme aux mœurs douteuses. Réduire les récits des apparitions du Christ ressuscité à de simples légendes ou des constructions de la communauté primitive est intellectuellement tout à fait insatisfaisant.

Vous direz probablement alors : oui, mais quand on voit l’Eglise, peut-on dire qu’on reconnaît l’arbre à ses fruits ? Ah l’Eglise, parlons-en ! Parce qu’elle est en réalité, comme communauté des croyants, le signe le plus manifeste de la Résurrection du Christ. Comment comprendre que les disciples, qui ont tous été dispersés après l’arrestation puis la mise à mort du Christ, soient revenus pour vivre à nouveau ensemble ? Comment expliquons-nous que, malgré la catastrophe du Vendredi Saint, les disciples soient soudain devenus une communauté, l’Eglise, à la fois fraternelle et missionnaire ? Cela ne peut s’expliquer historiquement sans reconnaître la place de phénomènes d’apparition, de vision, d’extase, d’inspiration spirituelle, qui ont marqué l’origine de l’événement de Pâques. Le Christ vivant, ressuscité des morts, est apparu, en Galilée, à Pierre, puis aux Douze, comme le dit saint Paul aux Corinthiens, le plus ancien témoignage que nous ayons du fait de la résurrection… « puis à plus de cinq cents frères à la fois, ensuite à Jacques, à tous les apôtres, et en tout dernier lieu il m’est apparu à moi aussi », conclut Paul. Apparitions qui sont inséparablement une initiative de Dieu et une interprétation croyante des personnes qui en ont bénéficié, et qui relisent ces événements à la lumière des saintes Ecritures. Il faut sortir d’une fausse rationalité qui ne voit comme alternative qu’un phénomène purement naturel ou un phénomène purement surnaturel et jugé alors irrationnel parce que dépassant les limites humaines. Toute la foi chrétienne, fondée sur l’incarnation de Dieu, est justement dans le fait que l’action de Dieu, la grâce, ne supprime et ne remplace jamais l’action humaine. Les apparitions, les visions du Christ ressuscité, sont pleinement et entièrement une œuvre humaine et une œuvre divine, car Dieu emploie tout le pouvoir de l’intelligence et de la sensibilité humaine pour se révéler lui-même au cœur de l’Histoire.

Une chose est certaine. Pour les apôtres, le fait que Dieu ait ressuscité Jésus d’entre les morts, qu’il l’ait exalté à sa droite dans les Cieux, a une grande signification : à savoir qu’avec la résurrection de Jésus, la résurrection eschatologique, finale, de tous les morts, a déjà commencé. La période de la fin des temps, des derniers temps avant la fin du monde, s’est désormais ouverte. C’est ce qui justifie le rassemblement de la communauté des disciples que la mort du Christ avait dispersée. C’est bien ce que dit saint Paul aux Colossiens : « frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut… pensez aux réalités d’en haut ». C’est dans l’attente de la Parousie, du retour du Christ, que se placent les premiers chrétiens : Pierre a reçu la mission « d’annoncer au peuple et de témoigner que Dieu a établi le Christ Juge des vivants et des morts ». « Notre vie est cachée avec le Christ en Dieu et désormais nous attendons que paraisse le Christ notre vie », dit saint Paul. C’est ce que nous venons d’entendre dans le Nouveau Testament.

On reconnaît l’arbre à ses fruits. Mais cette attente de la Parousie était-elle une illusion ? Près de 2000 ans après, l’Histoire n’a-t-elle pas invalidé cette espérance ? En réalité, inséparable de l’attente du retour du Christ, tous les récits de Pâques appellent aussi cette même communauté rassemblée à partir, à annoncer la Bonne Nouvelle du Christ, vivant et Sauveur, à toutes les nations, tous les peuples, au monde entier, dans la force de l’Esprit Saint, l’Esprit du Christ ressuscité. L’attente certaine du retour du Christ n’autorise pas la communauté des origines à rester immobile, les yeux tournés vers le Ciel, mais au contraire les pousse à tourner directement leur regard vers le monde et sa détresse. Comme Jésus lui-même l’a fait. C’est justement parce que nous sommes à la fin des temps qu’il y a urgence à nous tourner vers ce monde, pour lui apporter le salut du Christ, à travers les sacrements, pour lui apporter la charité du Christ à travers toute œuvre de miséricorde.

On reconnaît l’arbre à ses fruits. Bien des signes dans la société, l’économie, la politique, manifestent que notre monde est à bout de souffle. L’écart si grand entre l’amour du Christ déjà pleinement offert aux hommes et l’humanité qui est encore si profondément meurtrie et dans la misère, doit brûler notre cœur. Oui, il dépend de chacun de nous que notre monde aujourd’hui découvre que l’arbre de la Croix est devenu l’arbre de la Vie. Amen.