4 mai 2025 – IIIe dimanche de Pâques
Frères et sœurs avec l’évangile que nous venons d’entendre, nous voilà attendus tôt le matin à la plage pour un petit déjeuner, plus exactement au bord de la mer de Tibériade.
A la fin du texte, nous ne savons pas vraiment comment s’est passé ce repas : solennel, convivial, ou dans la joie des retrouvailles avec le ressuscité ? On observe simplement, que c’est après ce déjeuner que le dialogue entre Jésus et Pierre se noue, un peu comme dans nos familles, …. c’est au moment de la vaisselle que les confidences se font, que les langues se délient….
Jésus avec une souveraine délicatesse ne renvoie pas Pierre à son passé, il ne lui fait aucun reproche, il n’évoque pas cette nuit noire où par trois fois le disciple avait déclaré « Je ne connais pas cet homme » en parlant de son maître. Son plongeon depuis la barque pour le rejoindre sur le rivage a comme un goût de lavement, de purification comme on le ferait au baptême pour être purifié tout entier de nos fautes avant d’être appelé fils de Dieu.
Le triple reniement a éminemment chamboulé le cœur et l’âme de Pierre. Par orgueil ou par arrogance, il s’est cru au-dessus, plus fort qu’une chute misérable : faible et paresseux, il s’était non seulement endormi au jardin au lieu de veiller par peur du sacrifice de son maître, plus encore, il l’a renié.
Comment aller désormais vers son Seigneur qui connaît le cœur de son disciple et veut maintenant le reconquérir ? Comment accompagner cette âme bouleversée par la fracture du péché que Victor Hugo[1] décrivait ainsi :
« Comme dans les étangs assoupis sous les bois,
Dans plus d’une âme on voit deux choses à la fois,
Le ciel, qui teint les eaux à peine remuées
Avec tous ses rayons et toutes ses nuées,
Et la vase, – fond morne, affreux, sombre et dormant,
Où des reptiles noirs fourmillent vaguement. »
Le seul mot de pardon que l’on aurait pu espérer dans cet échange entre Pierre et Jésus n’est pas prononcé. Au lieu de cela c’est la réponse à une question posée trois fois qui est sollicitée « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? », en quelque sorte l’attente d’une triple déclaration d’amour envers le Christ. Chacun, chacune d’entre nous pourrait mettre son prénom en lieu et place de Simon… que répondrions nous ? sans nous défiler devant la réponse de mon voisin, alors que c’est bien nous qui sommes interrogés… par le Christ, dans notre amour pour lui … malgré notre faiblesse.
Au lieu de laisser Pierre seul face à son tourment intérieur, à son drame et de lui reprocher en quelque sorte sa trahison, Jésus vient simplement lui montrer la racine de son péché, de tout péché, qu’est-ce là sinon le manque d’amour ? Comment non pas revenir en arrière sur les évènements mais aller de l’avant, non pas avec des pénitences ou des sacrifices, mais avec un cœur enflammé d’amour ?
Cet épisode peut nous interpeller sur notre manière de vivre le sacrement du pardon. Par exemple, le concevons nous comme un simple rituel, comme un échange où je confesse mes péchés, et suis pardonné en retour en exécutant la pénitence qui m’est donnée ? A moins de vivre la réconciliation comme un engagement plus profond de mon âme, une occasion unique d’être renouvelé par l’amour même de Celui que nous avons blessé ? Une occasion unique d’entendre « m’aimes-tu plus que tout ? »
Ce qui nous retient souvent pour nous laisser aimer et rejoindre profondément par le Christ c’est que nous pensons l’amour malgré nos blessures là où nous devrions penser que le Christ nous aime à travers nos blessures.
Frères et sœurs j’ai une profonde aversion pour les huîtres…. mais en lisant récemment un bref article sur la conchyliculture, j’ai noté que la perle naît d’une blessure de l’huître. Entendez ici que c’est une sécrétion maladive qui produit la nacre. Merveilleux.
La rencontre d’amour de Pierre avec le Christ, tout comme la rencontre d’amour que chacun, chacune d’entre nous peut vivre avec le Christ provoque une véritable guérison. D’une blessure naît une beauté à mille reflets.
Ce qui vaut à Pierre de devenir le berger des brebis et la pierre de fondation de l’Eglise, ce ne sont ni ses mérites, ni ses capacités, lui qui a été un renégat, mais bien plus une relation d’amour intense, revigorée avec la personne du Christ.
De cette rencontre intime avec le Christ nait une grâce inattendue, comme une perle : celle de savoir s’aimer soi-même, c’est-à-dire d’assumer toute notre personne dans le mystère du Christ. Bernanos dans son Journal d’un curé de campagne exprimait bien ce souhait :
« Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ. »
Le Seigneur sait manifester sa force à travers nos faiblesses, il peut guérir nos cœurs en transformant nos blessures en d’authentiques perles. Pour autant, il n’y a pas de saints qui n’existe et qui ait effacé son passé, tout comme il n’existe pas de pécheur qui ne soit pas promis à un avenir.
Nos histoires mêmes blessées par les circonstances de la vie ne doivent pas être « reconfigurées » ou stockées dans un espace virtuel pour être oubliées. Nos vies, toute vie même entachées par le reniement, le péché, doivent rester dans une réalité dynamique à travers laquelle nous avons à trouver le fil rouge de l’amour de Dieu pour nous et la réponse que nous lui apportons. « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. »
[1] Hugo, Les rayons et les ombres.