Chanoines réguliers de Prémontré
25
Avr
S. Marc, évangéliste

Être curé

Au lendemain de ma nomination comme curé de la paroisse Saint-Martin de la Seulles, tandis que j’émettais quelques doutes sur ma capacité à « tenir » une paroisse en raison notamment de mon âge, le père abbé de Mondaye, dont dépendait (avec l’évêque de Bayeux) ma nomination, m’avait alors répondu : « Ce dont a besoin la paroisse Saint-Martin de la Seulles aujourd’hui, c’est simplement d’un frère un peu enthousiaste, présent, et qui rassemble les gens avec gentillesse. »

Au-delà de cette formulation aimable, il y avait là tout un programme auquel je m’efforce actuellement de correspondre.

Etre enthousiaste : littéralement, selon l’étymologie (dérivée du grec νθεος éntheos), c’est être possédé par un dieu, ici disons « par Dieu ». En effet, comment annoncer la Bonne Nouvelle de l’Evangile si l’on n’est pas littéralement « habité » par Dieu. C’est ce que formule avec force saint Paul dans sa lettre aux Galates : « Ce n’est plus moi qui vit, mais c’est le Christ qui vit en moi » (Gal. 2,20). Par soi-même, on n’est guère capable de comprendre quoi que ce soit du mystère divin et de l’annoncer. Seule, une fréquentation, une méditation assidue de la Parole de Dieu et une prière soutenue permettent au prêtre d’être « à la hauteur » du ministère qu’il a à accomplir. Car le prêtre n’est pas ordonné pour lui-même, il est ordonné pour une mission, pour un triple service : l’enseignement, la sanctification et le gouvernement de la communauté des chrétiens qui lui a été confiée par l’évêque et que l’on nomme paroisse. C’est ce que le code de droit canonique, au Canon 519, dit avec précision : « Le curé est le pasteur propre de la paroisse qui lui est remise en exerçant, sous l’autorité de l’Évêque diocésain dont il a été appelé à partager le ministère du Christ, la charge pastorale de la communauté qui lui est confiée, afin d’accomplir pour cette communauté les fonctions d’enseigner, de sanctifier et de gouverner avec la collaboration éventuelle d’autres prêtres ou de diacres, et avec l’aide apportée par des laïcs, selon le droit. » Notons au passage que ce n’est pas le curé qui choisit le peuple vers lequel il est envoyé, pas plus d’ailleurs que les fidèles ne choisissent le pasteur qui doit les guider. Etre enthousiaste c’est aussi avoir et donner de l’élan à ce qu’on entreprend. Le curé entraîne donc dans le sillage de son élan missionnaire la communauté chrétienne qui lui est confiée.

Etre présent : le droit canonique rappelle également l’obligation, pour le curé, de résider sur sa paroisse (Can. 533 §1). Il ne s’agit pas là seulement d’une contrainte administrative ou formelle, mais c’est une nécessité pastorale. Le curé doit, à sa façon, partager la vie des fidèles dont il a la charge. Pouvoir les rencontrer dans l’ordinaire des jours afin de mieux les connaître, de mieux comprendre leurs préoccupations, leurs soucis de tous ordres. En un mot : afin de mieux les aimer. Une telle présence permet qu’on se tourne vers lui dans les désarrois ou les difficultés. Ainsi exerce-t-il un ministère de miséricorde : il écoute ceux qui n’ont plus personne à qui parler, à qui se confier. Sa présence réconforte, rassure : en cas d’urgence, une relation pourra s’établir. Une aide, un soutien demeureront possibles. Rappelons-nous le reproche que Marthe adresse à Jésus à l‘occasion de la mort de son frère Lazare : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » (Jn 11, 21). Et cette présence est une présence de service : «Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Lc 22, 27). Accueillir l’autre tel qu’il se présente, à l’heure qui est la sienne et pas nécessairement la mienne. Accueillir l’autre dans sa différence, avec ses faiblesses, ses fragilités. Ses richesses aussi, son désir de vie intérieure. La survenue de l’autre me dérangera toujours ! L’autre, dont le « profil » ne ressemble en rien à celui que j’avais imaginé. L’autre, étranger aux codes et aux conventions, mais l’autre qui déverse sa souffrance ou sa joie, pas nécessairement pour que je le soulage parce que son fardeau était trop pesant et qu’il ne savait plus aux pieds de qui le déposer. Mais aussi pour partager son bonheur. L’autre qui attend seulement une parole de réconfort ou de reconnaissance : « Tu as du prix à mes yeux » (Is 43, 4) ! L’autre qui, à travers toute sa personne torturée, avilie, défigurée, me révèle Jésus-Christ tel que je ne l’imaginais pas. Mais sa paix peut également me montrer l’œuvre de Dieu à l’intime de lui-même.

… Qui rassemble : qui rassemble la diversité pour permettre qu’un corps se constitue. Qui rassemble ceux qui étaient trop tôt partis, égarés ou éloignés, parfois même rejetés. Toutes les histoires humaines diffèrent, dans leurs grandeurs et leurs misères. Toutes doivent pouvoir trouver leur place dans ce grand corps qu’est l’Eglise et c’est la tâche du curé que de permettre à chacun d’y parvenir. C’est un travail ardu, de longue haleine, où rien n’est jamais définitivement acquis. Cent fois sur le métier il faudra remettre l’ouvrage, sans se lamenter et surtout sans désespérer. Dieu est à l’œuvre dans tout ce que nous faisons ; mais si nous ne faisons rien, Dieu ne fera rien à notre place. Là se situe ma responsabilité. Ai-je vraiment accompli tout ce qu’il m’était possible de réaliser ; ne me suis-je pas lassé, découragé, trop tôt, ne comptant que sur mes propres forces quand la grâce de Dieu m’attendait ? Pour rassembler il faut d’abord être soit même unifié, apaisé, autant que faire se peut. Difficile d’être facteur de cohésion, d’unité, si l’on n’est soi-même qu’un amas de débris ? La permanence d’une harmonie intérieure personnelle s’avère donc nécessaire pour que le curé exerce pleinement sa charge

… Avec gentillesse : il est aujourd’hui difficile de cerner avec justesse la signification de ce terme sans évoquer une certaine mièvrerie ou l’absence d’un caractère marqué, ou noter une personne malléable et sans grand tempérament. Or, l’origine du mot renvoie plutôt à une « noblesse de naissance », une « noblesse de l’âme, des sentiments », à un « trait d’esprit agréable ». Affabilité, amabilité, courtoisie, qui aident la personne que j’accueille à se sentir à l’aise. Façon avenante de se présenter à l’autre, qui est une déclinaison profane de la charité. Combien de personnes déçues par l’indisponibilité des « gens d’Eglise » ! … Prendre le temps d’écouter, source d’infinies découvertes et d’une meilleure connaissance et compréhension de l’autre.

C’est donc tout cela que je m’applique à vivre au jour le jour avec des agacements, des contrariétés, des impatiences parfois… bousculé par les contretemps, les oublis, les rendez-vous manqués. Mais aussi dans l’émerveillement d’un échange inattendu, d’une proposition de service inespérée. Sans oublier la mise en place et le déroulement des temps de catéchisme, la pastorale des sacrements qui jalonnent la vie du chrétien de sa naissance à sa mort, l’attention à porter aux plus démunis, aux malades. Tout cela, le curé ne peut l’assumer seul, voilà pourquoi il lui est adjoint un vicaire, un secrétariat actif et des bénévoles. C’est ensemble, « en Eglise », dans les remous de cette humanité que l’Evangile est à vivre et à annoncer. Et c’est ensemble que cette vie chrétienne partagée se retrouve pour rendre grâce à Dieu, Le louer et célébrer Sa gloire.