2 novembre 2025 – Commémoration de tous les fidèles défunts
En priant pour les défunts au lendemain de la fête de la Toussaint, l’Église veut nous placer dans un rapport vrai à la mort, sans la banaliser mais sans la redouter non plus. La relation à la mort dit quelque chose d’une civilisation et c’est souvent à partir de l’observation des sépultures et des rites funéraires qu’on peut repérer les traces de l’humanité, depuis la plus ancienne préhistoire. Et il n’est pas sûr que le fait de déguiser aujourd’hui les enfants en squelette, avec une citrouille sur la tête, soit perçu à l’avenir comme une grande avancée culturelle de notre civilisation dans sa relation à la mort ! Ne pas banaliser la mort, donc, ne pas en avoir peur non plus.
Ne pas banaliser la mort. A vue humaine d’abord, la mort reste une tragédie, l’aveu d’un échec, d’une limite incontournable, ce corps sans vie, l’épreuve d’une séparation irrémédiable. Nous en faisons l’expérience, lorsqu’un de nos proches décède, ceux que nous pleurons sont uniques, et par ce fait même, irremplaçables. On entend parfois lors de célébration des funérailles, un texte d’un prêtre anglican, Henry Scott Holland, datant des année 1910 : « Death is nothing at all. It does not count. I have only slipped away into the next room. » « la mort n’est rien, elle ne compte pas, je suis simplement passé dans la pièce d’à côté ». Cela me fait toujours bondir, cette minimisation de la mort. Si la mort n’est rien, alors la vie ne vaut pas grand-chose, elle non plus !
Ne pas banaliser la mort. La mort est aussi l’heure du jugement. Toutes les Écritures nous le disent. Le credo aussi. Le Christ reviendra comme juge des vivants et des morts. Nous devons craindre ce jugement. L’Apocalypse évoque ce jugement : « les morts furent jugés selon leurs actes. Ils furent jugés, chacun selon ses actes. Et si quelqu’un ne se trouvait pas inscrit dans le livre de la vie, il était précipité dans l’étant de feu. L’étang de feu, c’est la seconde mort. » Notre Père saint Augustin nous invite à prendre au sérieux, comme une mise en garde, les paroles de l’Écriture. « Tout ce que l’Écriture nous fait entendre, mes frères, c’est la voix de Dieu qui nous dit : prends garde ! » Et saint Augustin poursuit, dans le sermon 22 : « Si Dieu menace de venir en qualité de juge, c’est pour ne trouver personne à punir quand il viendra. Si Dieu voulait nous condamner, il se tairait… Soyons bons et attendons le Juge avec assurance ! » Ne pas banaliser la mort, c’est donc craindre le jugement, c’est donc reprendre chaque jour l’humble chemin de la conversion, confiant dans la miséricorde sans limite de Dieu, mais avec un vrai regret de nos fautes et un vrai désir de nous convertir. L’angoisse du salut est une composante essentielle de la sainteté chrétienne. A Gethsémani, le Christ a ressenti frayeur et angoisse pour le salut de l’humanité. Lui qui est Dieu, et qui veut que tout homme soit sauvé, il a connu l’angoisse devant le refus possible de la liberté de la créature. C’est l’angoisse de l’espérance, espérer qu’aucun homme ne se perde, que le nom de tous se trouve inscrit au livre de vie. Nul peut-être mieux que Mozart a su exprimer le caractère dramatique de cet appel à la conversion dans la mise en musique qu’il a fait dans cette extraordinaire scène de la statue du Commandeur qui vient demander à Don Giovanni qu’il se repente. Et don Juan refuse et sombre en enfer.
Mais ce jour de prière pour les défunts nous invite cependant à ne pas non plus avoir peur de la mort.
Ne pas avoir peur de la mort. Parce que la mort est aussi un passage nécessaire. La mort est un appel : Dieu veut donner la plénitude de sa vie. Il nous faut passer de la vie sur cette terre, où notre capacité d’accueillir la vie de Dieu est limitée, à une existence en plénitude, au-delà de nous-même. N’est-ce pas ce que Jésus révèle à Marthe, dans l’Évangile de saint Jean : « Celui qui croit en moi, dit Jésus, même s’il meurt, vivra : quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » La vie divine, qui nous est donnée dans le Christ, fait que la mort est un passage vers cette vie. Mais il nous faut croire en cette vie, qui n’a pas sa source en nous-même, mais en Dieu : « celui qui croit en moi, dit Jésus, même s’il meurt, vivra. » Il arrive parfois de voir quelqu’un mourir vraiment comme s’il était appelé. Il est parti. Il n’a pas disparu. Sainte Thérèse de Lisieux le disait : « non je ne meure pas, j’entre dans la vie. »
Ne pas avoir peur de la mort. Parce que la fête de la Toussaint nous parle de la communion des saints. En cette vie, nous ne sommes pas seuls, nous sommes précédés par une foule de témoin : « nos frères les saints » comme le disait la préface de la messe de la Toussaint. Ils veulent nous entraîner avec eux. Le baptême nous a greffé au Christ, a fait de nous les membres de son Corps. L’Église est une et les saints du Ciel intercèdent pour nous qui combattons encore sur la terre. Bien des saints ont exprimé leur désir de voir le Ciel rempli et non un Ciel vide ! Les saints ont un désir de voir Dieu face à face, mais un désir qui n’est pas individuel, mais bien collectif. Saint Thomas d’Aquin conçoit l’achèvement de l’histoire humaine comme la société des bienheureux qui voient Dieu face à face.
Pour conclure, ce qui compte, pour nous, chrétiens, c’est finalement de passer la mort avec le Christ. C’est lui, le bon berger, comme le chante le psaume 22 : « Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure ». Nous pouvons être confiant, devant la mort, parce que nous croyons que le Christ est ressuscité d’entre les morts. Avec saint Paul, confessons notre foi : « ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui ».